Les travaux de la Commission nationale de réconciliation pénale se poursuivront au-delà du 11 novembre 2023. L’expiration de la deuxième et ultime période de prolongation de six mois ne fait plus obstacle à ce que cette institution continue à exercer, de droit et de facto, les missions qui sont les siennes. C’est en tout cas ce qu’a fait savoir le président de l’Association tunisienne pour la défense du procès équitable (ATDPE) et avocat chargé du dossier de la réconciliation pénale, Me Walid Arfaoui.
Me Arfaoui a déclaré que le délai de six mois prévus à l’article 8 du décret-loi n°13 de 2022 portant sur la réconciliation pénale et l’affectation de ses ressources régit le mandat des membres de la commission et non celui de la commission elle-même, soulignant que le président de la République peut, par décret, changer la composition de cette commission au lendemain de l’expiration de la deuxième période de prolongation.
Conformément aux dispositions de l’article 8 du décret-loi relatif à la réconciliation pénale et afin de donner à ce texte sa portée concrète et opératoire, un décret a été publié le 11 novembre 2022 au Journal officiel de la République tunisienne (JORT), rappelle l’avocat. Ce décret prévoit la nomination des membres de la Commission nationale de la réconciliation pénale pour une durée de six mois. Le 12 mai 2023, un deuxième décret a été émis fixant le renouvellement du mandat des membres restants de la commission pour une deuxième période de six mois, au titre du même article. Lequel autorise le renouvellement de leur mandat pour une seule fois.
Le processus de la réconciliation pénale a démarré lorsque le Conseil des ministres a approuvé, en mars 2022, le texte d’un décret-loi sur la réconciliation pénale entre l’Etat et les hommes d’affaires impliqués dans des affaires de corruption financière; en contrepartie de leur engagement à lancer des projets de développement dans les régions.
Le président de la République, Kaïs Saïed, avait annoncé, lors d’un conseil ministériel l’adoption d’un décret-loi se rapportant à la récupération des fonds spoliés des hommes d’affaires « reconnus coupables d’avoir pillé l’argent du peuple tunisien ».
Lors de la prestation de serment des membres de la commission de la réconciliation pénale, il avait souligné que cette nouvelle structure était appelée à récupérer un montant de 13,5 milliards de dinars au profit du peuple tunisien. Tout en affirmant à maintes reprises que le nombre de ceux qui ont pillé l’argent du pays s’élève à 460 personnes, tel que révélé par le rapport de la Commission nationale d’investigation sur la corruption et la malversation.
Le processus de la réconciliation pénale : bilan et défis?
Le président de l’Association tunisienne de la défense du procès équitable, Walid Arfaoui, a déclaré que la Commission de la réconciliation pénale a reçu jusqu’à présent 250 dossiers de demande de réconciliation. Et elle est parvenue à ce titre à parachever les démarches et procédures de réconciliation de 40 % d’entre eux.
Il a ajouté que l’association dispose d’informations fiables établissant que la Commission de réconciliation pénale a jusqu’à présent collecté 35 millions de dinars; tout en laissant entendre que ce montant pourrait évoluer crescendo. Pour lui, ce chiffre est « un indicateur positif », si on le compare aux 9 millions de dinars collectés par l’Instance Vérité et Dignité (IVD).
Cependant, le processus de la Commission de réconciliation pénale fait face à des lacunes, dit-il. Par conséquent, beaucoup reste à faire au niveau des postes vacants à pourvoir, du raffermissement de la coordination entre toutes les administrations et les tribunaux; ainsi que la nécessité de promouvoir les voies de négociation avec les demandeurs de la réconciliation.
Alors, il appelle à adopter une politique plus « attractive » à l’endroit des demandeurs de la réconciliation. Et ce, en les exonérant du paiement de sommes exorbitantes injustifiées. Ajoutant que certains d’entre eux sont en mal de pouvoir injecter des liquidités suffisantes.
Côté défis et obstacles, M. Arfaoui a déclaré que le défi de taille auquel est confrontée la commission dans l’accomplissement de sa mission est qu’elle n’a pas de président et que sa composition est « incomplète », critiquant la lenteur du président de la République à pourvoir aux postes vacants dans les plus brefs délais.
En effet, la composition de la Commission de réconciliation pénale a connu des changements et des fluctuations au cours de sa première année de travail. Ainsi, le mandat de Makram Ben Mna, en tant que président de la Commission de réconciliation pénale, a pris fin le 17 mars 2023. De même, Fatma Yakoubi a été relevée de ses fonctions de membre de la commission de réconciliation pénale le 7 juillet de l’année 2023. Quant à la rapporteuse de la commission, Monia Jouini, elle aussi était limogée le 27 décembre 2022, 20 jours seulement après sa prestation de serment. Elle était remplacée par Hayet Belarbi le 18 janvier 2023.
L’article 11 du décret-loi n°13 de 2022 relatif à la réconciliation pénale et à l’affectation de ses ressources prévoit « qu’il est pourvu à la vacance dans la composition de la Commission nationale de réconciliation pénale dans un délai maximum de dix (10) jours à compter de la date de sa constatation, conformément aux mêmes procédures prévues pour la désignation ».
En outre, lLe deuxième défi soulevé par M. Arfaoui réside dans les dispositions du décret-loi. En ce sens que ce texte prévoit un délai-butoir de 20 jours pour que le comité d’experts achève son travail. Ce délai est « irréaliste », dès lors que certaines expertises nécessitent un délai plus long. Et ce, en plus de la faible coordination entre la Commission de la réconciliation pénale, les tribunaux, la commission d’analyse financière et les autres organismes concernés par le processus de réconciliation pénale.
De plus, Me Arfaoui indique que certaines dispositions du décret-loi régissant le processus de réconciliation pénale n’ont pas été réactivées dans la pratique. A cet égard, il cite en exemple « la Commission de la réconciliation pénale de suivi de la mise en œuvre des accords de réconciliation et de l’achèvement des projets dans les régions » prévue à l’article 42 du décret-loi et les commissions régionales de la réconciliation pénale.
Une logique de gagnant-gagnant
Enfin, Me Arfaoui a tenu à préciser que la réconciliation pénale est un mécanisme consensuel et facultatif dont l’objectif ultime est de rétablir le capital de confiance entre l’Etat et certains « fauteurs ».
En vertu de ce mécanisme, l’Etat renonce volontiers à son droit d’infliger des peines corporelles aux contrevenants, en contrepartie de quoi la personne concernée par la réconciliation renonce à certains de ses droits au moyen d’une solution consensuelle fixée par la Commission de la réconciliation pénale.
Il s’agit donc d’une voie purement facultative qui ne prévoit ni contrainte ni chantage de la part de l’Etat envers le demandeur de la réconciliation.
Avec TAP