Aujourd’hui, la transformation numérique, comme sa consœur la transformation écologique, est considérée comme le fer de lance pour booster une croissance responsable et inclusive. Le numérique a apporté beaucoup de solutions dans les domaines de l’industrie, la santé, l’éducation, les services, etc. C’est l’ère de l’ « homo numericus ». Personne ne peut imaginer les nombreuses facettes de la vie quotidienne sans les nouvelles technologies.
Cette emprise croissante du numérique peut aussi devenir une source potentiellement terrifiante en temps de
guerre. Les attaques via les virus informatiques ou les coupures d’internet deviennent aussi virulentes que les bombardements aériens ou les attaques de chars d’assaut. Cette nouvelle donne accorde un super-pouvoir
aux géants de l’internet, dont la puissance a tendance à détrôner celle des Etats. Le monde n’oubliera jamais les
appels faits par des millions d’internautes pour qu’Elon Musk rétablisse la connexion dans la bande de Gaza via
sa constellation de satelittes Starlink, après le blackout survenu le vendredi 27 octobre.
La fracture numérique ne cesse de se creuser entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas accès aux nouvelles technologies, notamment dans le monde en développement. Certes, c’est un problème d’accès, mais c’est surtout une
incapacité à développer et à maîtriser sa propre technologie. L’indice mondial de l’innovation, qui évalue et
classe les performances des écosystèmes de l’innovation, montre que les pays les moins avancés sont toujours à
la traine des classements. En 2022, le premier pays africain (en dehors de l’Afrique du Sud) détient seulement la
67ème place parmi 132 pays. La Tunisie a enregistré un score de tendance baissière depuis 2012, en passant de
36,5 à 27,9 en 2022, avec un classement qui ne cesse de reculer, atteignant la 73ème place pour la même année.
Face aux défis et aux opportunités que présentent les nouvelles technologies, il est impératif de concevoir des
stratégies nationales et régionales priorisant l’innovation et la R&D, afin de maîtriser le numérique au lieu
de le subir. A l’heure de la digitalisation, une cybersouveraineté tronquée est aussi angoissante qu’une souveraineté alimentaire menacée.
Par Lamia Jaidane-Mazigh
Cette chronique a été publiée dans le numéro 881 de l’Economiste Maghrébin du 8 au 22 novembre 2023