Le processus de décentralisation en Tunisie fait face à d’importants défis, notamment sur les aspects techniques et institutionnels. Jad Boubaker, chef de projet de l’initiative Pilote de développement local intégré à l’Organisation internationale du Travail (OIT), évoque des détails sur cette initiative visant à améliorer les conditions de vie dans les zones rurales tunisiennes. Financé par l’Union européenne et la Suisse avec un budget de 19,3 millions de USD, le projet sur 10 années cible 30 communes dans dix gouvernorats. Son objectif principal est de désenclaver les territoires, stimuler l’activité économique et impliquer activement les habitants dans le processus de développement. Interview.
Pouvez-vous nous présenter le projet de l’Initiative pour la promotion du développement local et de l’investissement et notamment son coût ?
Jad Boubaker : Le projet, dont l’intitulé exact est « Initiative pilote de développement local intégré », prend la relève d’un autre projet qui a démarré en 2012 et s’est étendu jusqu’en 2017, appelé « Appui aux zones défavorisées ». Le premier projet, de 2012 à 2017, connu sous le nom de Programme d’appui aux zones défavorisées, était entièrement financé par l’Union européenne, avec un budget de 6,5 millions d’euros. Le second projet, basé sur les résultats du premier et en appui au processus de décentralisation et de développement local intégré, a débuté en 2018 et se poursuit jusqu’en octobre 2025. Le budget pour la deuxième phase s’élève à environ 18 millions d’euros, dont 7 millions provenant de la Suisse. Nous avons touché dix gouvernorats : Le Kef, Siliana, Béja, Jendouba, Kasserine, Gafsa, Sidi Bouzid, Kébili, Tataouine et Nabeul.
Concrètement, quelles sont les actions de ce projet ?
Il s’agit d’interventions locales, territoriales, dans des zones délimitées au sein de ces 30 communes. Ces interventions sont intégrées. Ce qui signifie qu’elles ciblent généralement des territoires isolés ou présentant un potentiel économique ou des problématiques de développement. Deux tiers de nos actions visent l’infrastructure, mais pas n’importe quelle infrastructure. Il s’agit d’infrastructures dont l’objectif est de désenclaver ces territoires, de les relier au reste de la localité et du gouvernorat, tout en créant une dynamique économique.
Pourquoi ce choix ?
Plus précisément, là où il y a de la pauvreté et un déficit de développement, c’est là où se trouvent des richesses. C’est le paradoxe en Tunisie. En complément aux grands investissements de l’État nos interventions de proximités viennent en complémentarités. Malgré le déficit de développement, le potentiel est là. Le problème réside dans l’accès à ces richesses et l’amorçage d’un processus de développement. C’est là qu’intervient l’idée de l’initiative et de pilote.
En coordination avec les ministères partenaires et les acteurs dans les gouvernorats et commun accord avec nos deux bailleurs de fonds l’Union européenne et la Suisse, nous avons été appelés à agir là où cela fait mal, à prendre des initiatives sans obligation de résultat, mais avec l’obligation de déterminer si cela peut fonctionner. C’était un défi, une aventure et une marque de confiance de la part des partenaires institutionnelles et des bailleurs de fonds.
Vis-à-vis de ce projet, le défi a-t-il été relevé ?
Oui, au moins le minimum garanti a été atteint. Nous parlons d’une nouvelle culture, d’une dynamique, de territoires où les gens ont appris à ne pas rester passifs et à ne pas quémander l’aumône. La principale source de satisfaction réside dans la culture de la satisfaction, de l’appropriation et du changement de mentalité. C’est la satisfaction de dire à un Tunisien au fin fond du pays que nous ne sommes pas là pour l’assister, mais pour travailler avec lui, l’encourager à faire le premier pas, et nous ferons les dix suivants avec lui.
Comment la participation des femmes est-elle perçue ?
Dans le milieu rural, la femme est le pilier principal de l’économie. Ce sont les femmes qui défendent les projets d’infrastructure.
Selon vous, quels sont les ingrédients pour améliorer les conditions de vie dans les zones rurales?
Quand je dis améliorer les conditions et la qualité de vie, je parle aussi des revenus. Les conditions de vie sont l’axe infrastructure : désenclaver, protéger les infrastructures sociales, c’est-à-dire les écoles, les dispensaires, mais également les infrastructures hydrauliques, les barrages, les réservoirs et autres. Donc, ce sont les conditions de vie, contrairement à la qualité de vie.
Selon les données démographiques de la population tunisienne, on a près de 3 millions et demi de Tunisiens qui vivent en milieu rural. Et on a 1.2 million de personnes qui vivent dans les forêts, dans les montagnes et 1.2 à 1.5 qui vivent dans les oasis et les milieux arides avec zéro activité. Comment voulez-vous avoir un enfant épanoui? Ou quelqu’un qui sait mener une discussion? Donc, on a besoin de faire des investissements qui améliorent la qualité de vie. Et c’est là qu’on pense à aménager les parcs familiaux, qu’on fait des terrains de sport, qu’on aménage des sources d’eau en espace familial convivial. Ainsi, on aura bientôt à Kébili un amphithéâtre de 2.500 personnes. On s’intéresse au patrimoine. Donc, ce sont des ruines qu’on retape, qu’on reconstruit et auxquelles on donne une nouvelle fonction. On a fait beaucoup de travaux avec l’artisanat, mais l’artisanat, ce n’est pas uniquement le côté artistique, artisanal, commercial, etc. Et là, on entre dans le troisième point qui a trait aux moyens de subsistance ou bien aux revenus. Ce qu’on a constaté, c’est qu’il y a une vraie relation entre ces artisans et ces femmes rurales avec la matière première qu’ils manipulent pour faire des objets artistiques. Et là, on arrive aux moyens de subsistance.
En conclusion, comment envisagez-vous d’intégrer ces valeurs dans vos actions quotidiennes ?
Les éléments de notre réussite reposent sur la proximité, le dialogue qui mène à une réconciliation et rétabli la confiance, valoriser le potentiel des territoire (matériaux, acteurs économiques (entreprises et coopératives) et la mains d ‘œuvre locales. Proposer une réponse dont l’humain est à son centre. Une réponse qui amorce une dynamique de développement local intégré, inclusive et durable.
Nous resterons toujours fidèles aux principes et mandat de notre organisation et à l’OIT et nous poursuivrons notre travail pour “Promouvoir la justice sociale en créant des opportunités d’emplois décents”. Nous demeurons optimistes malgré les nombreux challenges et notre principal argument est que le changement est possible comme nous l’avons démontrer durant 10 années.