L’actualité ces derniers jours est dominée par l’examen du projet de loi de finances (PLF) 2024. Il faut savoir, à ce propos, que le PLF en question repose sur l’hypothèse d’un endettement de 16,4 milliards de dinars l’année prochaine. Des questions persistantes se posent : où va-t-on les chercher? Autrement dit, qui va nous les prêter, sachant que, politiquement, on a fait le choix que ce sera sans le FMI. Peut-on sortir sur les marchés financiers et nous endetter à des taux élevés ? Est-ce qu’on peut encore nous adresser aux banques locales ? Peut-on compter sur nos amis ? Y a-t-il des solutions ? Peut-on vraiment compter sur soi ?
Autant d’interrogations donc auxquelles le match de l’Economiste Maghrébin du mois de novembre essayera de répondre. Face-à-face entre Bilel Sahnoun, directeur général de la Bourse de Tunis, et Adel Mohsen Chaabane, président du Conseil des Chambres mixtes.
Compter sur soi : Quelques pistes
Nos deux interlocuteurs sont d’accord pour dire que l’endettement n’est pas une fatalité et que le compter-sur-soi est de l’ordre du possible.
Pour cela, il y a des conditions à remplir pour renflouer les caisses de l’Etat, notamment en devises. Quelles sont ces conditions ? M. Chaabane et M. Sahnoun nous dévoileront quelques pistes.
Le code de change
Adel Mohsen Chaabane (A.M.C): L’une des pistes à exploiter pour améliorer nos revenus en devises, ce sont les IDE. Or, quand on parle d’investissements étrangers, on parle d’abord et avant tout de code de change. Ce code a été soumis au secteur privé. Nous avons émis des réserves et adressé un grand nombre de recommandations pour avoir un outil de change qui réponde aux aspirations des investisseurs et pour ôter le caractère tabou accordé à ce code.
Une bonne partie de nos recommandations a été retenue, d’autres, malheureusement, non. Mais, certainement, comme nous l’a promis la BCT, des notes circulaires vont répondre à nos attentes. Pourquoi un bon code de change résoudra les problèmes de la Tunisie.
Il y a des problèmes qui peuvent être résolus à très court terme. Partout, dans le monde, là où il y a un code de change, il y a une amnistie des changes. Une amnistie, pour notre cas de figure, qui encouragera à déplacer géographiquement les comptes bancaires de l’étranger vers la Tunisie. C’est ce qui va avoir lieu, je pense, avec le nouveau code. C’est très important, mais l’essentiel, c’est de le faire dans les temps. Je reviens, à ce propos, sur ce que pense Ibn Khaldoun des Tunisiens. Selon Ibn Khaldoun, le Tunisien fait difficilement confiance. Donc, si on veut procéder à une amnistie, elle doit être étalée dans le temps. Il faut donner du temps pour observer ce qui se passe et aboutir à cette confiance en cette amnistie et en les autorités qui l’ont faite.
Maintenant et pour revenir aux IDE, l’apport du code de change est très stratégique pour encourager davantage les étrangers à investir en Tunisie et surtout à faire de la Tunisie une place financière internationale. Il faut une réglementation de change moderne : c’est là un appel qui a toujours été lancé par les investisseurs étrangers, par les Chambres mixtes.
Bilel Sahnoun (B.S). Le code de change fait partie des sujets qui intéressent tous les investisseurs, aussi bien internationaux que nationaux. Je comprends que, dans l’état actuel des choses, il y a la crainte de libérer le dinar et les transactions en devises, notamment face à l’endettement libellé en devises. Une crainte peut-être légitime. Cela s’explique par le fait que l’on est face à une administration sclérosée par une batterie de textes qui sont dissuasifs, qui font peur. C’est là que réside l’importance de l’apport d’un nouveau cadre législatif qui va libérer les investisseurs. Et en ce sens, je rejoins M. Chaabane lorsqu’il dit, en parlant d’amnistie, qu’il faut y aller par étape.
L’autre palier à atteindre avec un nouveau code de change, c’est le financement de la balance extérieure. En libérant, même partiellement, le change, on permettra à notre diaspora, qui n’envoie que de petites sommes (« chouya ») pour rembourser l’achat d’un bien immobilier ou pour subvenir aux besoins de la famille encore en Tunisie, de faire de l’épargne en devises en Tunisie. Une réserve en devises qui nous coûtera nettement moins cher que si on allait les chercher sur le marché international. Cela permettra aussi d’aller chercher chez cette diaspora la partie investissement. De par leur appartenance à certains secteurs d’activités, à leur connaissance d’un écosystème que nous n’avons pas ici, les membres de cette diaspora peuvent être des initiateurs de projets en Tunisie, se transformer en investisseurs et contribuer aux investissements directs étrangers, avec l’avantage d’avoir des investissements atomisés, sans être sous l’emprise de gros investisseurs qui peuvent nous imposer leurs dictats.
Parler de diaspora nous mène à une autre piste : les emprunts nationaux en devises. Ce type d’emprunt peut très bien intéresser les Tunisiens à l’étranger.
Les emprunts nationaux en devises
A.M.C. Je rebondis sur les emprunts nationaux en devises. Il faut savoir qu’à l’étranger, le placement en devises ne rapporte rien. En Tunisie, il y a là une niche à exploiter, notamment en permettant aux investisseurs étrangers présents en Tunisie d’avoir des placements en devises rémunérés. C’est là une des mesures à laquelle nous avons appelé depuis longtemps. Au lieu de rapatrier leur argent à l’étranger, ces investisseurs peuvent faire un placement en Tunisie avec une rémunération de 2 ou 3%. De l’argent en devises qu’on peut garder en Tunisie au lieu d’aller le chercher ailleurs.
B.S. Je pense, à ce sujet, que cela sera difficile à faire en l’absence d’un outil digital, d’une plateforme où tous les investisseurs peuvent converger. Une plateforme avec une dimension internationale pour la conformité. Il y a donc la digitalisation sur laquelle nous devons travailler, et il y a aussi la responsabilité sociétale des entreprises. On ne doit pas oublier l’entrée imminente de la directive européenne en termes de responsabilité sociétale des entreprises qui va obliger les donneurs d’ordres et les entreprises d’une certaine taille à adopter une politique « neutralité carbone » et un « net zéro ». C’est une menace qui peut devenir une opportunité si on arrive à être en avance par rapport à d’autres pays. Pour cela, quelques entreprises cibles devraient se mettre à auditer. Elles devraient montrer comment elles se préparent à la décarbonisation de leurs activités, voire même se présenter comme un potentiel offreur de crédit carbone. Qu’on le veuille ou pas, notre économie n’est pas aussi polluante que ça.
Extrait du Match du mois Bilel Sahnoun vs Adel Mohsen Chaabane
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n882 du 22 novembre au 6 décembre 2023