Retour aux sources, aux fondamentaux de la diplomatie tunisienne par trop éclipsée, chahutée, déconsidérée et laissée pour ainsi dire en déshérence ces dernières années.
Elle avait perdu de sa perspicacité, de son efficacité et de son aura à force de passivité, d’errance géopolitique, minée qu’elle était par des dissensions internes, ballottée par la dérive des continents. Elle était en mal de sérénité. Le ministère des Affaires étrangères, haut lieu et saint des saints de la diplomatie, brillait de mille feux dans la galaxie africaine. La Tunisie, chef de file d’une Afrique en construction? On n’est pas très loin de la réalité. Le pays était écouté et sa voix se faisait entendre partout où elle résonnait. Dans les instances internationales, aux Nations unies et ailleurs. Des pays africains et non des moindres, n’hésitaient pas, en toute circonstance, de nous emboiter le pas. La raison en est le rayonnement de la Tunisie, portée alors par une diplomatie faite de sagesse, de lucidité et d’une saine vision de la marche du monde.
Mais c’était il y a longtemps, avant que l’impensable ne se produise, avant que les fondements de notre diplomatie qui sont l’histoire, la géographie, la géopolitique et l’immense ambition nationale, ne soient couverts par un voile idéologique dont on a pu mesurer le degré de perversion. Il y a eu profanation du sacré, ce qui nous avait fait perdre le sens de la marche de l’Histoire.
Le retour de la diplomatie
Le déclin de notre diplomatie provoqua le décrochage de l’économie, sa déconnexion du monde qui arrive et un relatif effacement du pays. La Tunisie ne tenait plus son rang et son image s’écornait et s’abîmait au fi l des ans. Elle donnait même à penser qu’elle perdait ses appuis et pesait de peu de poids dans ses relations, ses négociations ou dans d’autres types de rapport, face aux pays tiers amis ou alliés, autrefois plus regardants. Plus on reculait, plus ils prenaient de l’ascendant, au risque de nous faire paraître comme un pays à souveraineté limitée. C’était il y a peu de temps encore, avant que le Président Kaïs Saïed n’annonce la fi n de cette renonciation, de cette glaciation diplomatique. La désignation de Nabil Ammar à la tête du ministère des Aff aires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, est venue à son heure pour remettre les choses à l’endroit et redonner du sens à notre diplomatie. Elle sera, à l’avenir, ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, l’expression d’une souveraineté consacrée et aboutie et l’affirmation d’une vaste ambition nationale. Le nouveau ministre ne fait pas mystère de sa volonté et de sa détermination, conformément au vœu, dira-t-il, du chef de l’État, de révolutionner, de rénover, de réinventer et de repenser notre diplomatie à l’aune des bouleversements géopolitiques mondiaux.
Signe de ce renouveau, la rencontre, à bâtons rompus, organisée récemment avec les responsables des médias, qui ont donné libre cours à leurs interrogations et questionnements. Le ministre n’a éludé aucune question, en présence des principaux responsables du ministère qu’il a investis des pouvoirs qui sont les leurs, en échange d’obligation de résultat.
Notre diplomatie, cela revenait comme un leitmotiv dans ses propos et sa pensée, doit retrouver son propre ADN et l’efficacité qui doit être la sienne. Au pas de charge, il a réorganisé les services, nommé les personnes qu’il fallait à la place qu’il fallait, au regard de leur compétence et de leur dévouement au pays. Pendant plus de 3 heures, il s’est livré de bon cœur, avec il faut bien le dire beaucoup de brio, à un exercice difficile, mais qu’il sut maitriser. Des questions, autrefois taboues ou indiscrètes, étaient à l’honneur. Qu’importe ! Il évoluait avec une extraordinaire aisance et assurance. Il sut dissiper malentendus ou simples appréhensions, sans la moindre gêne, souvent à la limite des réponses qui auraient justifié réserves ou précautions d’usage, se fiant ainsi au professionnalisme et au sens de la responsabilité des journalistes qui savent faire la part des choses. Il y avait nécessité d’un tel échange. On en sentait le besoin. Il l’a fait et a promis de l’institutionnaliser, et c’est tout à son honneur. Il a même réussi – fait assez rare – à sortir de l’ambiguïté qui prévalait ici et là à son avantage.
Sur les postes vacants ou sur l’absence de chancelleries en Afrique et ailleurs, la réponse ne se fait pas attendre. « Le train est en marche », reconnaissant que tout n’a pas été fait. Et pas que pour des questions de moyens, du reste très limités. Il ne s’en cache pas. Les compétences à la mesure des attentes se font rares et fixent les limites d’un déploiement sur une grande échelle. La relève n’a pas été assurée. Autant dire que notre diplomatie fait les frais d’une gouvernance passée sur laquelle il y avait beaucoup à dire.
Diplomatie économique
La diplomatie économique? Le concept n’est pas nouveau et la diplomatie tunisienne avait, par le passé, de solides attributs en la matière. Ce qui est nouveau, ce sont les consignes données aux ambassadeurs qui ont désormais la latitude d’agir, de sortir de leur silence, de déployer tout leur talent de diplomate, d’user de leur influence et de prouver leur efficacité. Pour autant, ils ne peuvent à eux seuls déplacer les montagnes. Aux autres ministères concernés de faire leur part du travail: logistique, transport, centres de veille et structures de promotion et d’exploration à l’étranger. Criminalisation de la normalisation avec l’État d’Israël La criminalisation de la normalisation avec l’État d’Israël, comme si la question qui avait ouvert le bal devait se poser ? Il ne fallait pas trop tendre l’oreille pour comprendre que nos convictions, nos valeurs universelles et nos principes de droit et de justice auxquels nous sommes attachés, ne doivent pas heurter l’intérêt national. La question est grave, au regard de ses implications et dommages collatéraux. Ultime précision, le ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger ne s’est pas dérobé à ses obligations à l’égard du Parlement. À ceci près qu’il n’est qu’un maillon de la chaîne de l’État. D’autres ministères sont concernés. Il y a donc une impérieuse nécessité de réflexion. Nul besoin d’explication de texte.
Tunisie-UE
Et sur les relations souvent tumultueuses, du moins en apparence, Tunisie-UE ? La réponse coule d’eau de source. La Tunisie n’a renié aucun de ses engagements. Autant dire qu’en matière de négociations et de perspec- tives d’avenir, la balle est dans le camp de l’UE. On l’aura compris : la Tunisie a des amis, mais elle a aussi des intérêts, et elle est désormais résolue et déterminée à les défendre dans le respect des institutions, loin de toute forme de pression qui confine à l’ingérence. Il y a comme un message en l’air qui s’apparenterait à une demande pressante pour décoloniser la coopération. A croire que la franchise, tout en faisant valoir le droit des peuples et leur dignité, permet d’aller loin pour bâtir une coopération rénovée et approfondie dans un espace euro-méditerranéen de codéveloppement et de coprospérité. Avis aux donneurs de leçons du Parlement européen, ces prétendus parangons des libertés et de la démocratie, qui se sont voilé la face pour ne pas dénoncer les crimes contre l’humanité perpétrés par les Israéliens à Gaza. Les pays de l’UE et non des moindres, qui ne jurent que par la démocratie et les libertés, se sont fait les complices du plus grand génocide que l’humanité ait connu. Cette attitude de double standard -Ukraine-Palestine – a fait reculer les limites du cynisme, du déni, de l’hypocrisie et de l’injustice. Cela vaut aussi pour les médias occidentaux, qui n’effaceront pas de sitôt le discrédit qui les frappe aujourd’hui.
Tunisie-Maroc: le dégel
Plus proche de nous, quid des relations Tunisie-Maroc pour ne pas ajouter aux tensions qui minent la région et condamnent à jamais l’idée même de l’UMA ? Bonne nouvelle en vue : le dégel est à un stade assez avancé. La parenthèse est sur le point de se refermer. Tout est rentré dans l’ordre. Le ministre ne pouvait être, quoiqu’à demi-mot, plus explicite.
Géopolitique mondiale: Sud global
Il n’est aucune question qui agite le microcosme politique qui n’ait été évoquée et débattue, comme celle relative aux conséquences de la nouvelle géopolitique mondiale sur la diplomatie tunisienne, avec notamment l’émergence du Sud global. Aucune hésitation dans les propos du ministre. Il répond à chaque fois avec force conviction, beaucoup de courage et de détermination, balayant au passage du revers de la main les insinuations mensongères et les vrais-faux problèmes. Son message est clair : la Tunisie est de retour sur l’échiquier mondial. Droite dans ses bottes, inflexible dans ses choix et fermement attachée à son indépendance et sa souveraineté. Comme pour signifier, à l’issue de cette joute médiatique, ô combien utile et nécessaire, que c’est de cette terre bénie de Dieu et de nulle part ailleurs que se conçoit notre diplomatie, se construit notre avenir et se fabrique notre propre destin. On n’en espérait pas moins.
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n882 du 22 novembre au 6 décembre 2023