Encore une année pour rien ou presque, avec au mieux des prévisions de croissance de 0,9%. Moins que le taux de croissance démographique. De quoi faire baisser de nouveau le Revenu national par habitant. Pas de quoi relever la tête. Et vogue la galère. Nos compétiteurs, si tant est qu’on peut les considérer comme tels, ont fait trois fois mieux sinon davantage. Quatre ans après l’effondrement (-9%) provoqué par la crise sanitaire mondiale, l’économie nationale n’a pas retrouvé son niveau d’avant 2019, quand la plupart sinon la totalité des économies ont renoué avec la croissance et effacé les stigmates d’avant-crise. Ce décrochage, qui se poursuit et s’accentue d’une année à l’autre, n’est pas d’un bon présage.
Pour preuve, la reprise de l’activité touristique compense d’une certaine manière la contre-performance du secteur agricole.
On avait pourtant bon espoir que 2023 serait meilleure que 2022, aux performances économiques et financières assez limitées. Il n’en fut rien. On terminera l’année bien en peine, moins bien qu’on l’a abordée, alors que rien ne laissait prévoir une croissance à encéphalogramme plat. Au vu des résultats, le cœur de l’économie nationale bat à peine et fait même craindre le pire. L’effondrement de la campagne céréalière et, de manière générale, le recul de la production agricole à cause de la persistance de la sécheresse n’expliquent pas à eux seuls la récession globale de l’économie. Pour preuve, la reprise de l’activité touristique compense d’une certaine manière la contre-performance du secteur agricole.
Les causes de la stagnation sur fond d’inflation-stagflation sont beaucoup plus profondes ; elles sont d’ordre structurel. Ce n’est pas sans raison si l’épargne nationale est à son plus bas historique, si l’investissement public et privé bat de l’aile et marque le pas, si le pays ne figure plus ou à peine dans les écrans radar des IDE, si le chômage persiste et s’aggrave et si l’inflation s’incruste au risque de fracturer la société. Paradoxalement, même la réduction du déficit extérieur inquiète plus qu’elle ne rassure, dès lors qu’elle pénalise pour l’essentiel les importations de produits liés à l’activité de production. Elle a du coup un effet dépressif sur la création de richesses, de revenus et d’emplois. Cette prétendue éclaircie est moins le signe d’une reprise des exportations de produits manufacturés à forte valeur ajoutée que l’expression d’une coupe sombre dans les importations productives, qui impacte dangereusement le cœur du réacteur de l’appareil productif. Cette pratique n’est pas sans risque, elle met en danger et peut compromettre la croissance future, du moins à horizon rapproché. Il n’y a pas lieu de s’enthousiasmer à l’idée de programmer pour ainsi dire la décroissance de l’économie.
L’État dépense plus de la moitié du PIB sans générer la moindre croissance, tout en soufflant sur les braises de l’inflation. Difficile d’occulter sa responsabilité dans le marasme actuel.
Tous les clignotants sont au rouge et certains au rouge vif. Moins à cause des chocs externes liés à la guerre en Ukraine ou à la faible contraction de l’économie mondiale qu’à la persistance des chocs internes récurrents. Il n’y a qu’à observer le poids du budget de l’État – plus de 45 % du PIB – sans rapport avec l’effort productif et surtout la structure de l’allocation des ressources pour s’en convaincre. La quasi-totalité est consacrée aux salaires des fonctionnaires – 35% du budget et plus de 13% du PIB, un record mondial -, à la CGC, aux dépenses de subventions d’entreprises publiques en soins intensifs sans espoir de guérison et, fin des fins, au rembourse- ment du service de la dette qui explose en raison du cumul d’une montagne de dettes extérieures qui achève d’asphyxier les investissements d’avenir de l’État, réduits à leur plus simple expression.
L’État dépense plus de la moitié du PIB sans générer la moindre croissance, tout en soufflant sur les braises de l’inflation. Difficile d’occulter sa responsabilité dans le marasme actuel. Il prélève – ou confisque – près de 40% de la valeur ajoutée déclarée, il prive de liquidité les entreprises qui en ont tant besoin et les met en difficulté alors qu’il est censé les aider. Il renvoie aux calendes grecques les investissements publics et brise les ressorts de l’investissement privé, déjà mis à mal par le niveau élevé des taux d’intérêt, la corruption et une bureaucratie d’État des plus dissuasives, dénoncée plus d’une fois par le Président de la République lui-même. A croire que la liberté de créer et d’entreprendre relève du délit. On ne s’étonne plus de voir migrer les uns ou basculer les autres dans les zones grises de l’informel.
On a beau s’évertuer à échafauder plans de développement et différents scénarios d’évolution – ce qui est loin d’être le cas -, on ne retrouvera pas de sitôt les chemins de la croissance. On ne mettra pas fi n au décrochage de l’économie et on ne résorbera pas la dette si on persiste à traiter les effets plutôt qu’à nous attaquer aux causes réelles et à la racine du mal.
L’État-patron ou gérant a révélé ses propres limites. L’heure est à l’État stratège qui anticipe, libère, légifère, impulse, facilite, fait faire et régule dans un souci d’efficacité et d’équité.
L’État ne peut marcher à reculons et aller à contrecourant de la marche du monde. S’obstiner à vouloir maintenir dans son giron des entreprises dont la seule vocation est d’accumuler les déficits, sans justif cation économique, sociale ou morale, aux frais des contribuables, revient à compromettre l’avenir des générations futures en les enfermant dans l’enfer de la dette dont on ne peut prédire l’issue. L’État-patron ou gérant a révélé ses propres limites. L’heure est à l’État stratège qui anticipe, libère, légifère, impulse, facilite, fait faire et régule dans un souci d’efficacité et d’équité. La transformation des entreprises publiques – restructuration/privatisation – nous fera gagner plusieurs points de croissance et remettra à l’honneur le principe de ruissellement. A charge pour l’État d’assurer une répartition qui tire production et revenu vers le haut. Cette transformation élargira l’espace budgétaire de l’État et le mettra en capacité de déployer une vision, de fixer un horizon et de tracer une perspective.
Il pourra ainsi moderniser nos infrastructures économiques et sociales, développer la R-D et les investissements d’avenir qui entraineront dans leur sillage les investissements privés dans les régions de l’intérieur et le littoral. Le secteur privé, loin d’être aussi toxique qu’il est dit, est en capacité et en droit, au vu de son engagement social, sociétal, voire politique, de prendre le relais de l’État. Ce dernier aura fort à faire pour porter, piloter et financer le vaste projet de transition écologique (décarbonation, dessalement d’eau de mer), énergétique (économie verte, énergie renouvelable, hydrogène vert) et numérique (IA, technologies émergentes, industrie 4.0…).
L’État doit, pour rattraper notre retard, s’en donner les moyens, mettre en place les mécanismes de financement et de soutien, établir au plus vite une feuille de route et un calendrier précis. Il n’y a pas mieux que ce message pour provoquer un choc de confiance, susciter l’enthousiasme et l’envie d’entreprendre des acteurs économiques, notamment ceux du sommet de la hiérarchie, qui ne brillent pas par leur sérénité. Le président de la République et le gouvernement n’ont pas beaucoup de temps pour construire de nouveau la confiance, répandre un climat d’apaisement propice à la relance de l’investissement et de la croissance. Le temps nous est compté. Nous devons éviter le pire et tout faire pour que l’année 2024 ne soit pas aussi perdue que celle qui l’a précédée.
L’édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 882 du 22 novembre au 6 décembre 2023