C’est un signe qui ne trompe pas. La visite d’une délégation du FMI en Tunisie, initialement prévue du 5 décembre au 17 décembre 2023, a été reportée sine die. Paraît-il sur demande des autorités tunisiennes, pour des raisons obscures.
Faut-il en conclure que les négociations entre notre pays et l’institution financière de Bretton Woods sont au point mort? Alors même que nous ignorons encore la nature exacte des raisons sous-jacentes qui se cachent derrière le énième report de cette visite cruciale. Laquelle fut annoncée en octobre dernier, à l’occasion de la tenue des Assemblées annuelles du FMI et de la BM à Marrakech. A savoir qu’aucune nouvelle date en vue n’a été retenue à ce jour. « Le calendrier étant piloté par le FMI, d’un commun accord avec les pays membres », rappelle pertinemment une source de la BCT.
Est-ce pour punir la Tunisie d’avoir pris une position courageuse en faveur de la cause palestinienne qu’elle est désormais dans le collimateur des institutions financières qui obéissent au doigt et à l’œil aux injonctions de Washington?
« Un signal positif », mais…
Pourtant, soucieux de relancer la machine des négociations qui patinent depuis 2019, c’est le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouane Abassi en personne qui l’avait annoncée au mois d’octobre dernier, la qualifiant de « signal positif ».
En effet, dans une déclaration accordée le 14 octobre 2023 à l’agence TAP, M. Abassi expliquait que cette mission de consultation, qui sera effectuée au titre de l’article IV et dont l’objectif est l’examen des performances économiques de la Tunisie, signifie « un rétablissement de la communication entre la Tunisie et le bailleur de fonds ».
Le gouverneur de la BCT a ajouté que les réformes discutées avec le FMI avaient été réalisées et mises en œuvre dans le cadre de la loi de finances pour l’année 2023. Citant à titre d’exemple la révision à la hausse de la TVA pour les professions libérales. « Ces réformes ont, d’ailleurs, contribué aux recettes fiscales », a-t-il précisé.
Il a d’autre part rappelé que depuis octobre 2022, un accord préliminaire a été obtenu du FMI pour un financement d’une valeur de 1,9 milliard de dollars. Il a souligné que malgré la guerre russo-ukrainienne, qui a provoqué une flambée des prix des denrées alimentaires et des hydrocarbures, le déficit de la balance des paiements est passé de 8,6 % fin 2022 à 2,1 % actuellement et devrait atteindre 4 % d’ici fin 2023.
« Hors déficit énergétique, la balance des paiements serait même excédentaire. Le fait de relancer la production de phosphate pourraient permettre de combler ce déficit », arguait le grand argentier. Tout en se flattant que la Tunisie avait réussi à contenir l’inflation et la réduire, même si son niveau demeure élevé (9,3 %). « Le taux d’inflation devrait diminuer davantage d’ici à la fin de l’année en cours, en dépit de la sécheresse et de la régression de la production agricole », a-t-il pronostiqué.
Et de rappeler enfin, non sans fierté, que la Tunisie avait réglé ses différentes factures d’achats et ses dettes. En outre, elle a été également en mesure de payer la grande échéance prévue fin octobre 2023, estimée à plus de 500 millions d’euros.
Pourtant, Ridha Chkondali, professeur universitaire en sciences économiques, déclarait hier mercredi à nos confrères de Tunisie numérique, que : « Ce report n’a aucun impact sur les négociations entre la Tunisie et le FMI. La Tunisie n’a pas encore présenté une nouvelle approche qui pourrait remplacer l’accord au niveau des services avec la Tunisie au titre du mécanisme élargi de crédit. Par rapport à cet accord, plusieurs données ont changé comme le prix du pétrole et des matières premières. Le FMI attend une nouvelle initiative de la part de la Tunisie ».
Alors, comme expliquer ce fâcheux couac?
Dissonance
Et si le coup de menton altier du président de la République Kaïs Saïed– qui refuser de plier l’échine face aux « injonctions » des institutions financières qui risquent de malmener davantage les couches les plus vulnérables- y était pour quelque chose?
En effet, ne soulignait-il pas, jeudi 6 avril 2023, dans un discours prononcé à Monastir, au Mausolée Habib Bourguiba, à l’occasion de la commémoration du 23ème anniversaire du décès du leader Habib Bourguiba, que « la Tunisie est un Etat indépendant souverain et ne peut recevoir des instructions de l’étranger […] La Tunisie n’est pas à vendre, elle dispose de plusieurs ressources pour faire face aux défis économiques et sociaux actuels ». Et que, enfin, notre pays « n’acceptera, en aucun cas, des diktats de l’étranger! »
De là à penser qu’il y a dissonance entre le discours souverainiste du chef de l’Etat et le realpolitik prôné par le gouverneur de la BCT, certains se sont engouffrés dans la brèche. Sans commentaire.