Y a- t-il encore une centrale ouvrière dans le pays? Certains en doutent réellement. Et ce ne sont pas les quelques actions et déclarations de l’UGTT faites en soutien au peuple palestinien qui vont faire croire le contraire!
Bien sûr il y a aussi la commémoration de l’assassinat de son fondateur heureusement pour manifester encore son existence. Mais cela ne peut pas nous faire oublier que l’UGTT a depuis un certain moment déserté la scène politique et plus encore la scène syndicale. Pour la scène politique, cela se comprend, car depuis longtemps les ugttistes auraient dû rectifier, le tir et revenir aux vieux principes syndicaux, dont ils se sont éloignés depuis 2011. Ainsi, pendant dix ans, ils se sont comportés comme un parti politique au pouvoir, allant jusqu’à le partager avec Ennahdha, Nidaa et autres formations politiques; non sans utiliser les actions syndicales dont les grèves pour mieux se placer dans les différents gouvernements.
L’on se souvient du temps où les syndicats de base rejetaient tous les PDG qui n’étaient pas jugés de leur côté. Et l’on connaît d’autres qui ont été nommés par les différents gouvernements parce que recommandés par l’UGTT. La centrale syndicale était devenue un parti politique sans en porter le nom; mais surtout sans passer par les urnes. Feu Beji Caïd Essebsi disait gouverner en wifak, entente avec Ennahdha et l’UGTT. On connaît le résultat et l’UGTT ne peut pas se dérober à sa responsabilité dans le désastre économique et social qui a frappé la Tunisie l’emmenant à multiplier par quatre le montant de son endettement à l’échelle internationale. Lequel passe de 25 milliards de dinars en 2010 à 130 milliards de dinars cette année.
Pendant dix ans, l’UGTT s’est comportée comme un parti politique au pouvoir, allant jusqu’à le partager avec Ennahdha, Nidaa et autres formations politiques; non sans utiliser les actions syndicales dont les grèves pour mieux se placer dans les différents gouvernements.
Une légitimité érodée
La tenue d’un congrès extraordinaire a servi juste à amender le règlement intérieur, afin de permettre à l’équipe actuelle de rempiler une troisième fois. Elle n’est pas une action digne d’un grand syndicat à l’histoire chargée de luttes et de combat et surtout qui prétend avoir installé une démocratie dont on a vu les conséquences néfastes sur le pays. Et ceci même si la justice a débouté les plaignants qui n’étaient que des camarades de lutte. Mais le résultat était prévisible car la légitimité de l’actuelle direction a pris un coup.
La grève dans la fonction publique, jadis un bastion de l’UGTT, a prouvé que la base ne suit plus et qu’elle n’a plus confiance dans la direction actuelle. Et l’on sait que la vraie légitimité des syndicats ne s’octroie point dans les tribunaux.
Mais tout cela évidemment n’explique pas le silence suspect de la direction du syndicat ouvrier. Dans sa longue histoire, l’UGTT n’a jamais manqué à son devoir de défendre le pouvoir d’achat de ses adhérents et de tous les employés dans le public et le privé. Elle a même payé un tribu très lourd, surtout en 1978 et en 1984. Le côté combattant n’a jamais failli même quand la direction était destourienne et dirigée par le vaillant combattant Habib Achour qui était jusqu’en 1978 membre du bureau politique du Parti Socialiste Tunisien.
« Personne n’est plus fort que l’Ittihad », la centrale syndicale a tenté de souffler le chaud et le froid. Et ce, tantôt en s’alliant au président de la République, tantôt en penchant du côté des opposants islamistes.
Ce souffle combatif s’est poursuivi, après 2011, mais il nous semble qu’il a été dévoyé de ses objectifs syndicaux pour des objectifs politiques non avoués. Jusqu’à 2021, et surtout après le referendum sur la Constitution, et alors que le mot d’ordre était : »Personne n’est plus fort que l’Ittihad », la centrale syndicale a tenté de souffler le chaud et le froid. Et ce, tantôt en s’alliant au président de la République, tantôt en penchant du côté des opposants islamistes. Résultat de cette politique qui consiste à s’asseoir entre deux chaises, l’UGTT est parterre!
Depuis, elle ne semble pas se relever. D’un extrême à l’autre, elle est passée d’une politique de grève et même de grève générale que rien ne justifiait à une politique de désertion du terrain, du moins sur le plan revendicatif. Les négociations salariales et la réévaluation du SMIG et du SMAG de 2023 furent zappées tout simplement. Ce qui a fait l’affaire du gouvernement qui a d’énormes problèmes financiers; surtout qu’il n’est pas arrivé à négocier le prêt avec le FMI. Pendant ce temps, le pouvoir d’achat de l’ensemble des couches laborieuses et des retraités plonge et l’inflation s’envole vers des chiffres jamais atteint.
Le silence de l’UGTT comme action syndicale?
Mais le silence continue et on est allé même à justifier cette inaction en déclarant que le silence en soi est une action syndicale. Comble de cynisme certes, mais surtout comble d’impuissance. Impuissance qui sonne comme une trahison des milliers de syndicalistes, mais surtout de millions de travailleurs.
Alors, il aurait mieux valu pour le syndicat dire la vérité sur sa situation et rassembler ses cadres pour réfléchir sur une situation devenue catastrophique et surtout dangereuse. Puisque le syndicat est aussi une soupape de sécurité qui empêche la machine sociale d’exploser et c’est ce qu’on craint de pire. Et qu’on ne nous dise pas qu’on les empêche de travailler et d’agir, parce que certains syndicalistes ont été arrêtés pour des agissements illégaux devant la loi. Car, un syndicaliste n’est pas au dessus des lois et surtout celles qui régissent l’action syndicale.
Pendant plus d’une décennie, beaucoup de syndicalistes, surtout juste après 2011, ne faisaient aucun cas de la loi et se comportaient comme s’ils disposaient d’une immunité que personne ne leur a accordée, sûrs qu’ils étaient protégés par le parapluie syndical. Cependant, il est clair que ce temps est révolu et l’impunité a pris fin.
Pourtant, les moyens légaux sont nombreux et diversifiés. A commencer par renouer le dialogue avec le gouvernement pour sortir le pays de la crise. Et ce, quitte à faire des sacrifices et à condition d’expliquer pourquoi et au profit de qui. L’action syndicale n’est pas grèves, grabuges et anarchie. D’ailleurs, même dans les pays démocratiques, la grève est l’ultime recours quand les négociations arrivent à un blocage.
Le nécessaire débat
Le débat sur quel syndicalisme il nous faut, surtout quand le pays passe par une crise multidimensionnelle, n’a jamais eu lieu. On est toujours dans une sorte de syndicalisme des temps lointains. Et les chefs syndicalistes actuels n’ont fait qu’assourdir nos oreilles avec des citations extraites d’un passé révolu. Aussi grand soit le rôle de Farhat Hached dans l’acquisition de l’Indépendance, aussi important soit le rôle de Habib Achour dans l’enracinement de l’action syndicale dans notre tradition politique et sociale; cela ne peut remplacer la définition d’un syndicalisme du 21ème siècle où les réseaux sociaux ont remplacé les partis politiques et les actions syndicales.
L’archaïsme de nos syndicats n’a d’équivalent que l’archaïsme de notre administration. D’ailleurs, les syndicats sont en partie responsables de l’archaïsme de nos services.
Les réseaux sociaux sont devenus de véritables acteurs syndicaux. En effet, chaque citoyen s’exprime librement et expose aussi librement ses revendications qui atteindront plus rapidement, et sans intermédiaires politiques ou syndicaux, les décideurs. On n’a plus besoin de se regrouper à la batha pour faire entendre sa voix. L’archaïsme de nos syndicats n’a d’équivalent que l’archaïsme de notre administration. D’ailleurs, les syndicats sont en partie responsables de l’archaïsme de nos services. Même que certains bloquent toute évolution dans la numérisation des services. Car ils se sentent menacés dans leurs rôles et veulent être des intermédiaires incontournables. Et puis la bureaucratie syndicale reste une bureaucratie qui comme toutes les autres est toujours réfractaire au changement!
En conclusion, l’UGTT doit renouer avec l’action syndicale vraie et cesser de jouer un rôle qui ne lui sied plus. Sinon elle va connaître le même sort que tout organisme qui ne sait pas se remettre en cause à temps. Après tout, il est temps que le pluralisme syndical renaisse de ses cendres. Et l’Etat ne peut plus protéger ce partenaire historique, mais qui ne peut plus assumer son rôle d’unique partenaire social.