Lors de l’audience accordée mercredi 13 décembre au chef du gouvernement, Ahmed Hachani, le président de la République Kaïs Saïed, a vivement critiqué le laxisme, le laisser-aller et la lenteur de l’administration tunisienne et de ses services publics. Tout en estimant que leur rendement est « étrange et anormal ».
Il ne se passe pas un jour sans que le président de la République, Kaïs Saïed ne se penche personnellement sur l’un des maux qui rongent notre société. Et quoi de plus urgent que le dossier de l’administration tunisienne et des services publics dont il estime, à juste titre, que leur rendement est « étrange, voire anormal ».
Assainir l’administration
En effet, après avoir demandé au mois d’août dernier au Premier ministre Ahmed Hachani de préparer un projet de décret « pour assainir l’administration de ceux qui y sont entrés illégalement il y a plus d’une décennie et se sont transformés en obstacles entravant le fonctionnement de l’Etat »; il a récidivé au mois de septembre pour appeler le locataire du palais de la Kasbah à créer des commissions au sein des ministères et des établissements publics. Et ce, afin d’examiner le cas de plusieurs recrutements faits pendant les dernières années sur la base de diplômes falsifiés. C’est dire qu’il y a péril en la demeure.
Revenant à la charge, en recevant M. Hachani, mercredi 13 décembre au Palais de Carthage, Kaïs Saïed a vivement vilipendé le laxisme et le laisser-aller de l’administration tunisienne et des services publics. Et ce, à travers deux exemples édifiants qui retracent le parcours de combattant de deux citoyens lambda face à la machine administrative.
Vaudeville kafkaïen
Parmi les dizaines de plaintes et de doléances que reçoit le Président de la part des citoyens à propos de questions censées être initialement traitées par les autorités compétentes, hélas la plupart du temps jetées à la poubelle, figure celle du refus d’un agent opérant au sein d’une recette des finances de percevoir une créance au profit de l’Etat!
Le deuxième exemple d’abus administratif cité par le chef de l’Etat relève d’un vaudeville, sauf qu’il s’est avéré kafkaïen : il s’agit d’une plainte formée par un citoyen de Zaghouan dans laquelle il précise que l’officier de l’état civil avait oublié de mentionner le genre de sa fille. Sans commentaire.
Six ans plus tard, ajoute le gouverneur de Zaghouan dans son intervention, jeudi 14 décembre sur les ondes de Mosaïque FM, le père, analphabète de son état, voulait inscrire sa fille à l’école primaire. Or, surprise, sur son acte de naissance, il n’y avait aucun identifiant du genre du nouveau né; l’agent d’une mairie dans le Grand Tunis ayant omis de mentionner son sexe lors de la déclaration de naissance en 2016.
Commence alors le cauchemar qu’aura enduré le pauvre bougre : s’étant pourtant prévalu d’un certificat médical officiel délivré par l’hôpital où sa fille vit le jour, il frappa vainement à la porte des départements de l’Education, de la Justice et de la Femme et de la Famille. Il a également sollicité le délégué de la protection de l’enfance de la région qui l’a redirigé vers la justice pour rectifier cette erreur. A bout de force et de patience, il s’est adressé à la présidence de la République, laquelle donna des instructions au Ministère de l’Education afin de débloquer la situation et permettre à la fillette de s’inscrire régulièrement à l’école. Fin de calvaire.
Morale de l’histoire : rien n’a été fait pendant un an pour débloquer la situation. Par un laisser-aller coupable, par la lourdeur pesante de la bureaucratie, par la peur maladive de prendre la décision qui s’imposait d’évidence? Toujours est-il qu’il eût fallu l’intervention de la présidence de la République pour que la fillette prenne le chemin de l’école. Tragique et absurde!
Epée de Damoclès
Faut-il imputer les dysfonctionnements administratifs et le laxisme des agents publics à la terreur excessive que leur inspire le fameux article 96 du Code pénal?
Celui-ci stipule : « Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende égale à l’avantage reçu ou le préjudice subi par l’administration, tout fonctionnaire public ou assimilé, tout directeur, membre ou employé d’une collectivité publique locale, d’une association d’intérêt national, d’un établissement public à caractère industriel et commercial, d’une société dans laquelle l’Etat détient directement ou indirectement une part quelconque du capital, ou d’une société appartenant à une collectivité publique locale, chargé de par sa fonction de la vente, l’achat, la fabrication, l’administration ou la garde de biens quelconques, qui use de sa qualité et de ce fait se procure à lui-même ou procure à un tiers un avantage injustifié, cause un préjudice à l’administration ou contrevient aux règlements régissant ces opérations en vue de la réalisation de l’avantage ou du préjudice précités. »
Une épée de Damoclès au-dessus de la tête de hauts fonctionnaires dont la mission consiste entre autres à prendre des décisions, cet article controversé fera l’objet d’une « refonte » dans les plus brefs délais.
« Certains services offerts aux citoyens ne fonctionnent pas de manière ordinaire, sous prétexte de l’article 96. Cet article sera bientôt révisé afin de ne plus être utilisé comme prétexte », a promis Kaïs Saïed. Il était temps.