Soyons d’abord clairs, la pénurie, non seulement des matières de base notamment des produits alimentaires, est générale et touche toutes les couches sociales. Les riches comme les pauvres, les hauts responsables et les hommes d’affaires ainsi que toutes les franges de la classe moyenne sont réduits à aller chercher, en cachette, leurs paquets de lait ou de sucre, de riz chez des commerçants du coin qui arrivent à se procurer, malgré tout, ces denrées devenues rares à des prix inimaginables.
Nier l’existence d’une pénurie générale et continue que la Tunisie n’a peut-être jamais connue depuis la Seconde Guerre mondiale, essentiellement pour les produits alimentaires de base, est tout simplement un déni de réalité, qui devient très grave lorsqu’il est prononcé par ceux-là qui sont censés veiller à ce qu’aucune pénurie, particulièrement quand il s’agit de produits alimentaires de base, n’existe! Mais ce n’est pas là notre propos dans cet article.
Ce qui est amusant à constater et est digne d’être étudié, c’est la réaction des Tunisiens face à cette pénurie, indépendamment des vraies causes qui l’ont générée.
En fait, il s’agit d’une multitude de réactions, qui évidemment « s’indignent » toutes de cette pénurie qui devient de plus en plus insupportable, en écartant évidemment certaines réactions de responsables qui continuent à vouloir nous convaincre que ces « précieux » produits existent bel et bien sur le marché, alors que les étalages des grandes et petites surfaces sont désespérément vides.
Une punition divine !
Un simple balayage des réseaux sociaux montre que la question de la pénurie occupe l’essentiel des espaces et des statuts individuels des usagers. Elle rivalise même avec Gaza! Parmi les explications données figure aussi celle qui renvoie à Dieu la responsabilité de cette situation inédite.
Deux catégories diamétralement opposées ont recours à cette interprétation : des islamistes idéologiques qui, comme depuis toujours, croient que les Tunisiens sont essentiellement un peuple de pécheurs (du mot péché) et notamment les femmes qui osent montrer leurs « mafaten », les parties séduisantes de leurs corps.
Cette catégorie voit en général toute catastrophe naturelle, guerre ou famine comme une preuve de la colère de Dieu. Elle constitue l’essentiel de ce qu’on appelle le petit peuple
Cette catégorie voit en général toute catastrophe naturelle, guerre ou famine comme une preuve de la colère de Dieu. Elle constitue l’essentiel de ce qu’on appelle le petit peuple et il n’y a qu’à s’asseoir dans un café populaire ou faire la queue pour un paquet de lait ou de sucre… pour être convaincu qu’elle constitue une partie de l’opinion publique.
Cette catégorie s’exprime actuellement à travers Facebook sous différentes formes, dont le partage de versets du Coran ou d’images pieuses. Mais cette catégorie n’a en général rien à voir avec celle de l’islam politique. Elle est plutôt mue par une foi et une piété musulmanes traditionnelles.
L’autre catégorie est constituée d’une grande partie de la classe moyenne, créée et développée entre les années soixante-dix et 2011, qui voit aussi dans cette pénurie une punition divine d’un peuple qui n’a pas su pendant les années fastes remercier Dieu et surtout les dirigeants de l’époque, et qui a applaudi une pseudo-révolution qui est la cause principale de l’appauvrissement du pays.
Cette explication mélange le sacré et le profane, afin de se venger d’un peuple responsable, selon elle, de ce qu’elle considère comme sa propre déchéance : notamment quand les queues s’allongent pour chercher une baguette ou un kg de riz. Cela rappelle les images venues d’Afrique lors des grandes famines et c’est forcément un signe de déchéance.
La meilleure façon d’éviter de supprimer la subvention traditionnelle sur toute marchandise est bien sûr d’éviter carrément de l’importer
Bien sûr la raison de la propagation de ce genre d’explication est l’absence quasi totale d’informations sérieuses sur les causes qui ont engendré cette pénurie. Les responsables gouvernementaux à tous les niveaux répugnent à donner la vraie raison qui résume tout : l’État n’a pas les moyens financiers de s’approvisionner sur le marché international en payant cash tout ce dont le pays a besoin. De plus, la meilleure façon d’éviter de supprimer la subvention traditionnelle sur toute marchandise est bien sûr d’éviter carrément de l’importer. En conséquence, les citoyens donnent libre cours à leur imagination souvent riche et même à leurs fantasmes.
Cependant, il y a quelque chose de rationnel dans cette interprétation irrationnelle, car les lois qui régissent le développement des sociétés, même économiquement, ressemblent parfois aux lois divines. Lorsqu’on a vécu longtemps au-dessus de ses moyens, ce qui est le cas de la Tunisie de l’après-2011, il faut bien un jour commencer à rembourser sa dette, qui est d’ailleurs faramineuse à tel point que les bailleurs de fonds traditionnels refusent de nous prêter.
Le gouvernement actuel, il faut le dire, a choisi de payer la dette, ce qui est un signe de rationalité économique, quitte à allouer les budgets destinés à l’importation des produits alimentaires de base à ce qui est considéré comme sa priorité pour que le pays ne soit pas déclaré en cessation de paiement, comme le Liban, ce qui nous mettrait dans une situation encore plus catastrophique.
Ce qui est bien dans cette explication qui rend responsable le divin d’une catastrophe provoquée par ses hommes est qu’elle n’a pas de limite de date. Qui sait quand Dieu arrêtera son châtiment? Dieu seul le sait. En attendant, il faut se remettre à Lui et agir pour mériter Son pardon.
L’autre côté de cette explication supranaturelle est qu’elle ne désigne pas de personne politique ou administrative comme responsable de cette situation chaotique dans laquelle nous baignons, ce qui arrange en premier lieu le gouvernement actuel, bien qu’il n’ait qu’une petite part de la responsabilité, car la faute incombe plutôt aux gouvernements passés qui ont emprunté à tour de bras pour des raisons strictement politiques, sans parler du bradage systématique auquel ils se sont livrés pour dépenser l’argent emprunté, puisque la part de l’investissement est carrément nulle sur les dix ans.
Pénurie jusqu’à quand?
- Ce qui est bien dans cette explication qui rend responsable le divin d’une catastrophe provoquée par ses hommes est qu’elle n’a pas de limite de date. Qui sait quand Dieu arrêtera Son châtiment? Dieu seul le sait. En attendant, il faut se remettre à Lui et agir pour mériter son pardon. Ce que font des Tunisiens et Tunisiennes cinq fois par jour dans les mosquées ou chez eux, sans parler de Facebook : l’implorer pour nous pardonner nos péchés ! Signe d’impuissance ? Pas forcément, car ils n’ont plus confiance dans la justice des hommes et surtout les hommes politiques, après avoir été bernés pendant plus d’une décennie. C’est à notre avis la seule explication, certes non rationnelle, du calme apparent après dix années d’agitation continuelle, de grèves sauvages et moins sauvages, de batailles pseudo-politiques entre politiciens, de promesses non tenues, de mensonges, de délits flagrants, de manipulations, au nom d’une transition dite démocratique qui n’avait de démocratique que les formes, puisqu’elle a fini par dilapider les acquis sociaux, économiques et culturels réalisés par l’Etat post-Indépendance.
- Mais la voie pour en finir avec les pénuries et autres calamités similaires est claire: travailler plus, consommer moins et épargner. Après quelques années de labeur et d’épargne, le pays sera moins pauvre. On a déjà essayé la recette juste après le départ du colonisateur. Sauf qu’à cette époque les Tunisiens étaient prêts pour tous les sacrifices, car ils avaient confiance dans la direction du pays de l’époque. C’est ce qui manque actuellement d’une façon tragique ! Le taux de participation au scrutin visant à élire une deuxième Chambre sera le thermomètre qui nous dira si le chaudron continue à chauffer, même en silence ! A ceux qui tiennent la barre d’en tirer les conséquences!