L’effondrement d’un pan des murailles protégeant l’ancienne médina de Kairouan est emblématique du peu de cas que nous réservons, hélas, à notre patrimoine, l’un des plus riches au monde.
Quel Tunisien n’a pas eu le cœur serré en apprenant qu’un pan entier du rempart historique entourant la vieille ville de Kairouan, site classé au patrimoine mondial protégé de l’UNESCO, s’est effondré suite aux pluies diluviennes qui se sont abattues la semaine dernière sur la ville millénaire, capitale de l’Ifriqiya pendant cinq siècles et troisième ville sainte de l’islam?
Défaillances
Un drame qui a coûté la vie à trois personnes et autant de blessés. Lesquels travaillaient, depuis un mois, sur le chantier de restauration de la muraille qui s’étend sur 3,5 kilomètres de long et entre quatre et huit mètres en hauteur. Mais, le fait d’en imputer la responsabilité à « des facteurs climatiques, les précipitations et l’humidité », selon les déclarations de la ministre des Affaires culturelles, Hayet Guettat Guermazi, ne risque-t-il pas de détourner le regard pour ne pas voir les erreurs humaines qui sont derrière ces défaillances, empêchant ainsi de désigner les coupables?
Incompétence
Et ce, d’autant plus que quelques jours plus tard, une portion de Bab Houmet Trabelsia de la vieille ville de Monastir s’écroulait à son tour, sans faire heureusement de victimes. Deux incidents qui mettent à nu la vulnérabilité d’une grande partie de nos monuments historiques. Alors que les travaux de restauration- qui exigent un savoir-faire particulier et qui sont soumis à une expertise et à des normes internationales rigoureuses- sont hélas confiés après des appels d’offres publics à des simples entrepreneurs en bâtiment, incompétents et surtout peu scrupuleux.
Se pose également la question du contrôle et du suivi des travaux de ces monuments. Les experts relevant du département régional du patrimoine du centre-ouest ont-ils correctement fait leur boulot en constatant et en relevant les anormalités en matière de construction dans la muraille de la cité des Aghlabides, ainsi que les normes sécuritaires?
Force est de constater que, selon les experts, les matériaux utilisés, du ciment blanc et des briques ordinaires, ne correspondent guère à ceux qui ont servi initialement à la construction de cette muraille vieille de douze siècles.
Sachant qu’il est de coutume dans notre pays que les appels d’offres émis par l’Etat conformément à la règlementation des marchés publics se font sur la base du fameux moins-disant et pas celui qui présente les meilleures garanties!
Où est passée l’aide étrangère?
Pourtant, selon les confidences de Samir Fayala, militant de la société civile à Kairouan, qui s’est exprimé mardi 19 décembre 2023 sur les ondes de Mosaïque FM, le Sultanat d’Oman avait versé une première tranche en 2014, près de 600 000 dollars pour la restauration des remparts historiques en Tunisie, soit la moitié du budget initialement alloué.
Pour sa part, l’Arabie saoudite avait également accordé, en 2017, un don de 15 millions de dollars pour la restauration de l’ensemble de la vieille ville de Kairouan y compris la Grande mosquée. Comble de l’ironie, le Royaume est encore dans l’attente des études de projet qui n’ont toujours pas été réalisées!
De plus, vu que le site de la vieille ville de Kairouan a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 1988 et bénéficie par conséquent « d’un classement spécifique au titre de monuments historiques », la Tunisie peut bénéficier d’un financement de la part du Fonds du patrimoine mondial de l’UNESCO. Un fonds qui s’élève à 5,9 millions de dollars pour l’exercice biennal 2022-2023. Plus 0,4 million de dollars pour l’assistance d’urgence qui peut, le cas échéant, être sollicité par les Etats signataires de la Convention du patrimoine mondial.
Toutefois, il faut bien le rappeler, cette assistance n’est accordée qu’aux Etats qui se sont acquittés de leurs contributions obligatoires qu’ils se doivent de verser chaque année. Soit l’équivalent de 1% de leurs contributions au budget ordinaire de l’UNESCO.
La Tunisie a-t-elle sollicité ce mécanisme pour la restauration de ses monuments historiques, y compris la muraille de Kairouan? Et surtout s’est-elle acquittée de sa contribution au budget auprès de cette institution onusienne?
En attendant les conclusions des enquêtes judiciaire et administrative promises par la ministre des Affaires culturelles, lors de sa visite sur les lieux du drame. Et à l’issue de laquelle elle a averti que son département « n’hésitera pas à prendre des sanctions sévères à l’encontre de toute personne dont l’enquête administrative révélerait une négligence ou une défaillance dans l’accomplissement de ses missions et responsabilités ». Nous ne pouvons que constater, la mort dans l’âme, que le sort de notre patrimoine est à la dérive. A l’image de notre belle Tunisie…