Après de laborieuses discussions, le Parlement et le Conseil européens se sont mis d’accord pour adopter un projet de règlement de la Commission « visant à améliorer la durabilité environnementale des produits et à garantir la libre circulation au sein du marché intérieur, en fixant des exigences en matière d’écoconception auxquelles les produits doivent satisfaire pour être mis sur le marché ou mis en service ».
Le texte concerne notamment le secteur de l’habillement et vise entre autres à interdire la destruction des vêtements neufs invendus. Plus généralement, à limiter l’impact de la fabrication de produits sur l’environnement. Désormais ceux-ci devront être plus fiables, réutilisables, réparables et plus faciles à recycler.
Vouloir sauver la planète est un objectif totalement légitime : 5,8 millions de tonnes de produits textiles sont jetés chaque année dans l’Union européenne, soit 11 kilos par personne. Alors qu’il faut 20 000 litres d’eau pour produire un kilo de coton; contre 820 litres pour un kilo de pommes de terre et que la soif et la faim frappent cruellement des centaines de millions de personnes dans le monde (lire le terrible ouvrage « La terre a soif » d’Erik Orsenna); il est très choquant et inadmissible que des montagnes de vêtements pourrissent sur des plages africaines, finissent dans les bennes à ordures ou soient même brulés par certaines marques plutôt que d’être recyclés ou donnés à des organisations caritatives.
Il faut 20 000 litres d’eau pour produire un kilo de coton, contre 820 litres pour un kilo de pommes de terre […] La soif et la faim frappent cruellement des centaines de millions de personnes dans le monde.
Mais si l’intention de Bruxelles est louable, la méthode est très contestable et le projet de règlement, un véritable monstre administratif. Les entreprises vont devoir satisfaire de multiples exigences dont la liste à la Prévert, longue comme le bras, porte sur les thèmes suivants : durabilité et fiabilité du produit; possibilité de réemploi du produit; possibilité d’amélioration, réparabilité, entretien et remise à neuf du produit; présence de substances préoccupantes dans les produits; efficacité énergétique du produit et utilisation efficace des ressources; éléments recyclés contenus dans les produits; remanufacturage et recyclage du produit; empreinte carbone et empreinte environnementale des produits; production attendue de déchets des produits.
En outre, les exigences en matière d’information vont devoir se matérialiser sous la forme d’un « passeport de produit » et d’un dispositif d’étiquetage qui vont multiplier au cube celles déjà contraignantes décidées en France.
Bref, pour parodier une expression chère au président Macron, un règlement « de dingue » et qui va coûter « un pognon de dingue » aux entreprises! Et dont la mise en œuvre pose trois grandes questions :
- Par qui et avec quels moyens seront effectués les contrôles? Allons-nous engager une nouvelle cohorte de fonctionnaires? Quelles compétences et quelle légitimité auront-ils? Comment pourront-ils contrôler la traçabilité des produits, du champ de coton en Chine et des ateliers de confection de Dacca jusqu’aux boutiques de prêt-à-porter à Paris?
- Pour quels résultats? Monsieur et Madame Michu, prolétaires représentatifs des classes moyennes des consommateurs européens, de loin la plus nombreuse, se contrefichent totalement de l’origine et des conditions écologiques et sociétales de production des vêtements. C’est triste mais ceci est parfaitement documenté. Ce qui compte pour eux, c’est d’abord le prix du vêtement, puis sa qualité (confort, matières et accessoires, coutures) et dans une moindre mesure le look/style. Alors, à quoi peut conduire ce projet européen, sinon qu’à charger encore plus la barque des obligations règlementaires, déjà pleine à ras bord, des entreprises industrielles et de distribution du secteur? En clair, en quoi la mise en œuvre de ce règlement peut éclaircir le sombre tableau écologique de la filière textile-habillement?Toute mesure pour éduquer et éclairer le consommateur afin qu’il devienne plus éco-responsable est la bienvenue. Mais la vérité est qu’on produit trop, qu’on importe trop et que c’est ce déséquilibre offre/demande qui est générateur de toutes ces turpitudes écologico-économiques dénoncées par le projet de règlement européen. Aussi, ajouter une nouvelle couche de contraintes administratives à un secteur déjà en crise structurelle n’est pas très judicieux et est même absurde.
- Ne faut-il pas prioritairement s’attaquer aux causes plutôt qu’aux effets? La vérité est que le business model classique sectoriel est abracadabrantesque. Il n’est pas sans analogie avec celui de la pêche industrielle consistant à racler le fond des océans à grands coups de chalut pour finalement rejeter à la mer tous les produits non commercialisables et invendus. Un vrai désastre pour la préservation des ressources halieutiques et la biodiversité marine. Car dans le textile-habillement, on produit et commercialise beaucoup plus que les capacités d’absorption du marché. Résultat, seul un quart des vêtements est vendu pendant la saison, la moitié est proposée à prix barrés, soldes et promotions diverses, et le dernier quart termine dans les déchetteries.
Aussi, plutôt que cette approche excessivement règlementaire à effets prévisibles modestes, pour ne pas dire nuls par rapport aux objectifs affichés par l’UE, je voudrais suggérer deux mesures qui peuvent utilement contribuer à rejoindre les légitimes préoccupations écologiques de l’Union européenne, tout en favorisant la nécessaire revitalisation de la filière européenne textile-habillement, une filière qui compte encore 143 000 entreprises et 1 300 000 salariés et qu’il est donc impératif de soutenir vu sa contribution aux équilibres socio-économiques de l’Europe. La première vise à réduire le flux des importations d’habillement qui inondent le marché européen. L’année dernière, l’Union européenne a importé 4,6 millions de tonnes de vêtements, principalement d’Asie, pour 98 milliards d’euros.
Cette suggestion consiste tout simplement à supprimer les régimes douaniers super-préférentiels généreusement octroyés par l’Union européenne à ces pays asiatiques qui sont de véritables bagnes industriels, ne respectent généralement pas les droits de l’homme, voire même comme le Myanmar, qui se livrent à d’ignobles génocides. Non seulement une telle mesure ne coûte rien mais permettra même d’alimenter les caisses européennes grâce aux recettes douanières ainsi générées et surtout d’inciter les importateurs à se tourner plutôt vers des fournisseurs de proximité, européens et méditerranéens, pour des stratégies de circuit court collant mieux aux besoins des marchés que celles pratiquées avec l’Asie, et donc beaucoup plus écologiquement responsables.
La seconde mesure, beaucoup plus déterminante pour rétablir un juste équilibre offre/demande et la pratique d’un business model sectoriel vertueux est de soutenir les investissements industriels et commerciaux en solutions technologiques permettant d’adapter et d’ajuster l’offre de produits et de services à la demande. Concrètement, à customiser l’offre en fonction des attentes et besoins des consommateurs. Avec pour effet direct de réduire les volumes proposés, d’éviter les surstocks et les invendus, de minimiser les gaspillages. Les solutions technologiques existent, telles celles de Lectra, ainsi que des voies de différentiation de l’offre de style, telles que celles de Nelly Rodi.
Cela permettra de revivifier et de redynamiser l’industrie européenne textile-habillement, de consolider sa coopération économique avec nos partenaires méditerranéens dans une logique partenariale gagnant-gagnant… Et ainsi d’inciter les jeunes maghrébins à rester travailler dans leurs pays. Bref, de voir l’avenir avec plus de confiance et de sérénité.
Et un vœu pour 2024 : que l’Europe cesse de se tirer une balle dans le pied! Un vœu pieu sans doute, hélas!
Jean-François Limantour – Président d’Evalliance