Le 24 décembre, dans plus de deux mille circonscriptions, les Tunisiennes et les Tunisiens auront à choisir entre plus de sept mille candidats aux élections des Conseils locaux. Vaste programme, sauf qu’à quelques mètres de la ligne d’arrivée, une bonne partie du bon peuple n’en sait pas plus ni sur ce que sera cette élection, ni sur qui seront ces élus. Une campagne électorale fade, sans saveur, si ce n’est le goût amer d’une démocratie taraudée, qui part en vrille.
Il faut dire qu’elle n’est pas à son premier coup de grâce. Les dernières élections législatives ainsi que le referendum sur la Constitution ont permis de montrer que le commun des Tunisiens a, en majorité, décidé de bouder en masse les urnes. A croire qu’il ne voit rien d’utile à maculer son doigt d’encre pour élire des élus à qui on demandera ensuite, et surtout, de ne rien décider. On n’a pas à regarder par la fente des urnes pour savoir que la prise des déci
sions se passe ailleurs.
En arriver là, pour une nation qui prétend avoir fait le Printemps arabe, c’est triste, diront certains. On pourra toujours les consoler en rappelant que cette inflexion de l’ordre des choses politique n’est pas propre à la Tunisie. On voit partout, des États-Unis à l’Ukraine, des inconnus de la sphère politique sortir de l’ombre, gagner des élections et former des gouvernements. Que cela s’appelle populisme ou n’importe quoi d’autre, le plus important est de signifier
que le commun des citoyens a perdu confiance dans ce qui est communément appelé démocratie représentative, considérée comme inefficace, corrompue et déconnectée des préoccupations des citoyens.
Bercés par une autosuffisance révolutionnaire, on avait dit, suite au 14 janvier 2011, que la démocratie était une chance pour le développement puisqu’on avait évincé le dictateur pour sa carence réelle ou supposée à assurer le développement équitable. Cette équation avait de quoi séduire. En d’autres termes, tout le monde allait se mettre au travail dès le moment où il a gagné le droit au chapitre politique, social et économique. A l’évidence, rien n’est moins sûr. Les droits d’abord, le reste viendra, nous a-t-on dit. Et sans surprise, il n’est pas venu, en dépit des fausses assurances données par l’argent facile de l’endettement abyssal.
C’est ainsi qu’il est devenu pratiquement démocratique de faire la queue pour acheter du pain. Le sujet ne fait plus la une, comme on dit dans le marketing des médias. D’autres infos seront plus croustillantes, à savoir cette nouvelle baguette complète subventionnée qui sera bientôt disponible dans les boulangeries. Il faut dire que tout le monde a mis la main à la pâte. Les ministres de l’Agriculture, du Commerce et de la Santé se sont tous réunis pour nous servir cette baguette complète qui serait, nous dit-on, fabriquée avec de la farine qui a subi un raffinage permettant de garder les fibres et les minéraux essentiels à l’organisme et de maintenir une bonne santé. En ces temps de pénurie, « il ne manquait au pendu que de manger des sucreries », disait grand-mère. C’était une femme sage, paix à son âme.
Il n’en reste pas moins qu’une telle baguette, c’est du pain bénit. On ose même espérer que ce petit projet fasse tache d’huile, en particulier depuis que l’huile d’olive se fait rare. Sauf que pour cette dernière, il y a encore du pain
sur la planche.
Cette chronique été publié à L’Économiste Maghrébin N°884 du 20 décembre 2023 au 3 janvier 2024