L’année 2023 finit moins bien qu’elle a commencé, même si les récentes précipitations qui semblent avoir mis fin à plusieurs années de sécheresse tempèrent quelque peu ce sentiment, sans l’effacer pleinement. Et pour cause ! On nous prédisait, il y a douze mois, la reprise au coin de la rue. Il n’en fut rien. 2023 s’achève sur une note qui, si elle n’est pas négative, n’est pas loin de zéro. Il ’empêche, les récentes pluies qui ont éloigné le spectre d’une sécheresse prolongée ont mis du baume au cœur. Elles ont de surcroît adouci nos mœurs, devenues une véritable source d’inquiétude.
Aux premières gouttes d’eau, l’espoir renaît chez les exploitants agricoles, petits et grands, victimes expiatoires du réchauffement climatique. En fait, c’est l’ensemble du pays qui retrouve des couleurs et respire pleinement. Les pénuries d’eau et de produits – et pas que de première nécessité – sont passées par là. Et ont laissé d’énormes séquelles. Le poids de l’agriculture est beaucoup plus important dans la perception et la conscience collectives qu’il n’y paraît dans les statistiques, à hauteur de 13% du PIB. Les années de sécheresse sont durement ressenties ; celles de bonnes récoltes, même si elles ne font monter que d’un ou de deux points le curseur de la croissance, provoquent une sorte d’effet de revenu. Elles font naître une sensation de bien-être accru. La raison en est que les produits agricoles et dérivés font partie de notre quotidien et pèsent en continu sur le budget des ménages. L’abondance est synonyme de baisse des prix, ce qui n’est pas pour déplaire aux citoyens, consommateurs ulcérés ces dernières années par la montée du coût de la vie. Les récentes pluies, même s’il en faut davantage pour renflouer nos barrages tombés au plus bas, sont de bon augure. La pluie est de retour, avec pour effet immédiat de reverdir nos villes et nos campagnes. Dans l’espoir de réactiver le marché de l’emploi et de redonner davantage de pouvoir d’achat à une population spoliée, lassée, exaspérée, indignée par les pénuries et la valse des étiquettes.
Les statistiques de nos déséquilibres extérieurs parlent d’elles-mêmes. Et signifient à elles seules le poids des enjeux climatiques et de la gravité du stress hydrique et son impact sur la conduite du développement économique.
Rien ne nous a été épargné tout au long de ces trois dernières années, qui héritent de surcroît d’un lourd passif. Le pays ne s’est pas encore remis des affres de l’effroyable choc de la crise sanitaire mondiale qu’il est de nouveau exposé au souffle tout aussi dévastateur de la déflagration provoquée par la guerre russo-ukrainienne. L’onde de choc ne s’est pas fait attendre. L’explosion des cours du carburant et des céréales a achevé de réduire à néant nos illusions de reprise de la croissance économique. Cette guerre nous a coûté en une année l’équivalent en valeur du montant prévu sur quatre ans par l’accord mort-né avec le FMI, soit près de 1,9 milliard de dollars. Difficile de savoir si après cela les gendarmes aux ordres du FMI auront encore la conscience tranquille.
Les statistiques de nos déséquilibres extérieurs parlent d’elles-mêmes. Et signifient à elles seules le poids des enjeux climatiques et de la gravité du stress hydrique et son impact sur la conduite du développement économique. Vivement que la pluie vote pour le pays, malmené jusqu’à en être meurtri par une décennie d’errements politiques et d’égarements économiques. Ne s’agit-il que d’un simple répit, il vient en son heure. C’est l’ultime alerte sur les dangers qu’encourt le pays du fait du réchauffement climatique. L’eau est et sera de plus en plus rare. Et le climat de plus en plus chaud. Raison essentielle pour profiter de la clémence de la météo en vue d’engager et d’accélérer les transitions écologique et énergétique, avant que le ciel ne se retourne contre nous.
A l’avenir, nous devons apprendre à utiliser l’eau avec beaucoup de parcimonie, de sobriété. Nous devons, entre autres réformes, remodeler notre paysage agricole, rénover nos techniques culturales, gagner en efficacité, recycler les eaux usées et multiplier les unités de dessalement de l’eau de mer. Vaste chantier qui tarde à se concrétiser dans sa globalité !
La Tunisie d’aujourd’hui, et plus encore celle de demain, c’est, dira-t-on, une éternelle quête d’eau et d’électricité bon marché. Deux sujets inextricables, intimement liés, dont les effets se font sentir dans l’agriculture et dans l’industrie qui n’en est pas moins concernée : sa compétitivité et sa pérennité en dépendent. Le prix de l’électricité dessinera à lui seul les nouvelles lignes de notre avantage comparatif. Les récentes précipitations nous enlèvent une épine du pied. Pour autant, elles ne doivent pas nous exonérer de l’obligation d’engager, au plus vite, les transitions écologique et énergétique.
Il reste beaucoup à faire pour mettre à niveau, au standard des rendements mondiaux, notre agriculture qu’il faut repenser et peut-être même réinventer. Et davantage encore pour rattraper notre retard en matière de transition énergétique. Notre déficit en la matière nous prive d’énormes opportunités d’investissement. L’économie nationale paie un lourd tribut pour n’avoir pas pris plus tôt le tournant des énergies renouvelables. Ce n’est pourtant pas faute de soleil, de vent ou de mer propice à la production d’hydrogène vert.
L’économie nationale paie un lourd tribut pour n’avoir pas pris plus tôt le tournant des énergies renouvelables. Ce n’est pourtant pas faute de soleil, de vent ou de mer propice à la production d’hydrogène vert.
I l n’y a pas que la pluie qui nous a fait défaut, avec son cortège de coupures d’eau et de pénuries récurrentes. L’investissement nous a aussi terriblement manqué, à cause d’un ciel chargé d’autres nuages et de turpitudes politiques. Inutile de pointer du doigt la responsabilité des uns et des autres. La conjoncture économique et la géopolitique mondiales, les difficultés financières, autant que le climat des affaires ont freiné les ardeurs entrepreneuriales, sans distinction de grade ou de statut. Le moral des décideurs économiques ne semble pas au beau fixe. Les carences administratives et le déficit de visibilité sont loin de susciter une envolée des investissements, de quelque nature qu’ils soient, publics et privés. La confiance, principal carburant de la croissance, est la chose la moins bien partagée. Il n’y a rien de mieux à faire dans l’immédiat que de la reconstruire et la consolider.
La conjoncture économique et la géopolitique mondiales, les difficultés financières, autant que le climat des affaires ont freiné les ardeurs entrepreneuriales, sans distinction de grade ou de statut.
Face aux bouleversements géopolitiques mondiaux, l’heure est à l’apaisement et à l’union sacrée pour pouvoir retrouver les chemins d’une croissance forte, durable et inclusive. Nous rêvons d’un pays uni, pacifié, solidaire dans l’effort et le partage. Le rêve tunisien serait que le président de la République, garant de l’unité du pays, appelle à la réconciliation… nationale. Le pays doit se réconcilier avec lui-même et avec ses problèmes. Il pourrait ainsi retrouver ses capacités de rebond, assuré qu’il est d’un énorme potentiel de créativité, d’inventivité et de développement. L’alignement des planètes ne relève pas que du miracle. Il n’est pas, en effet, exclu que les récentes pluies apportent avec elles leur lot de sérénité et de confiance pour que tout devienne possible. Si cela devait se concrétiser, alors 2024 serait l’année de tous les espoirs. C’est notre vœu le plus cher.
Cet édito a été publié à L’Économiste Maghrébin du 20 décembre 2023 au 3 janvier 2024