Il faut reconnaitre qu’il a fallu une bonne dose de courage politique pour que le royaume chérifien saute le pas. Auparavant, les aides sociales étaient indirectes et non ciblées. Le Maroc subventionnant certains produits de grande consommation via une caisse de compensation. Dorénavant, le système de subventions généralisées laissera place aux aides sociales directes ciblées en faveur des couches défavorisées. Un modèle pour la Tunisie?
Au Maroc, le cap d’enterrer le système de compensation générale était fixé depuis belle lurette; mais la crise du Coronavirus ajoutée à la poussée de fièvre inflationniste engendrée par le conflit russo-ukrainien avaient mis un bémol à l’ambitieuse réforme des aides sociales impulsée par le roi Mohammed VI en 2020.
Aide directe et ciblée
Ainsi, à partir de jeudi 28 décembre 2023, environ un million de familles défavorisées vont recevoir la première tranche d’une aide directe mensuelle. Soit au moins 500 dirhams, un peu plus de 45 € par mois. Sachant que le salaire moyen au Maroc avoisine les 360 €.
« 3,5 millions de Marocains répondant au seuil d’éligibilité requis du Registre social unifié, bénéficieront dès jeudi prochain de la première tranche de ce soutien financier, dont la valeur ne sera pas inférieure à 500 dirhams par famille, quelle que soit sa composition. Après que ces familles auront déposé leur dossier avant le 10 décembre et que leurs dossiers auront été traités ». C’est ce qu’a annoncé lundi dernier à Rabat, le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, dans une allocution à l’ouverture de la réunion du Conseil de gouvernement.
« Le reste des familles qui ont déposé leurs dossiers après la date susvisée recevront les versements de décembre et janvier à la fin du mois prochain », a-t-il assuré. Tout en ajoutant que « la porte de dépôt des dossiers reste ouverte aux familles répondant au seuil d’éligibilité, afin de bénéficier à l’avenir du soutien social direct ».
M. Akhannouch a également souligné que le gouvernement a reçu, à travers le portail électronique www.asd.ma, depuis son lancement début décembre et à ce jour, plus de 1,9 million de demandes. « Et ce nombre ne cesse d’augmenter quotidiennement », a-t-il tenu à préciser.
Etat social
D’autre part, outre les aides familiales ciblées évoquées depuis dix ans sans être concrétisées, 3,8 millions de travailleurs non-salariés et leurs familles bénéficieront de la généralisation de la couverture sociale et de l’assurance maladie obligatoire, autrefois réservée aux fonctionnaires et salariés du privé. Cette couverture médicale a également été généralisée gratuitement à plus de 10 millions de personnes défavorisées, l’État couvrant le coût de leurs cotisations.
« L’année 2023 représente une année charnière dans le processus de mise en œuvre des chantiers de « l’État social » et de mise à disposition des ressources financières pour assurer leur pérennité, qu’il s’agisse de la généralisation de l’assurance maladie obligatoire, de l’aide sociale directe destinées aux familles en situation de pauvreté ou de précarité, ou de l’aide pour l’acquisition du logement principal ». C’est ce qu’assurait encore le chef du Gouvernement marocain.
Une conjoncture difficile
Il faut rappeler à cet égard que la mise en place de ces réformes sociales, qui ont nécessité le déblocage d’un budget de 25 milliards de dirhams (environ 2,3 milliards d’euros) pour 2024, est déployée dans un contexte difficile. Lequel est marqué par le ralentissement de l’économie marocaine et la hausse de l’inflation.
Ainsi, selon les dernières estimations de Bank Al-Maghrib (BAM), le Royaume devrait enregistrer en 2023 un taux de croissance de 2,7 %. Quant au taux d’inflation, il devrait se situer aux alentours de 6,1 %.
Après un taux de 6,6 % en 2022, l’inflation a continué de s’accélérer pour atteindre un pic de 10,1 % en février 2023, note la même source. Depuis, elle s’est inscrite en décélération, mais elle reste à des niveaux élevés en lien avec le renchérissement des produits alimentaires frais. Revenant ainsi à 8,2 % en mars, à 7,8 % en avril puis à 7,1 % en mai, ajoute BAM.
Et si la Tunisie sautait le pas?
Faut-il s’inspirer désormais du modèle marocain en dépit des disparités sociales?
Rappelons à ce propos que depuis l’indépendance, le système de subventions en Tunisie a toujours été un mécanisme essentiel pour atténuer la misère des catégories vulnérables, stabiliser les prix des produits de base et assurer la paix sociale. Cependant, au fil du temps, ce mécanisme n’a cessé de peser lourdement sur le budget de l’Etat.
Simple rappel mais qui en dit long : pour l’exercice 2021, les dépenses de subvention de l’Etat sont estimées à 3,401 milliards de dinars. Soit 8,3 % du total des dépenses du budget de l’Etat et 2,8% du PIB.
Alors, n’est-il pas temps d’orienter les aides directes ciblées en faveur des couches défavorisées? Une réforme nécessaire reprise par les gouvernements successifs depuis la révolution de 2011, mais toujours renvoyée aux calendes grecques.