Les années se suivent et se ressemblent. Si on a terminé l’année 2023 avec presque tous les indicateurs au rouge, rien n’indique que l’année 2024 sera meilleure. C’est, du moins, ce que nous fait comprendre M. Ridha Chkoundali, professeur universitaire en économie. Et pour cause. En 2024, on continuera à suivre la même politique économique.
Une politique pleine de contradictions, qui n’arrive pas à créer de la richesse, ni à lutter contre l’inflation. Même les quelques indicateurs au vert, comme ceux de la balance commerciale et de la balance des paiements, seraient contreproductifs et n’intéresseraient que ceux qui regardent de l’extérieur. En fait, selon M. Chkoundali, si on en est là, c’est quelque part parce que le gouvernement n’arrive pas à concrétiser, sous forme de programme, la vision, pourtant assez claire, du président de la République. En économie, nous dit-il, le plus important, c’est d’avoir une vision claire, même si elle n’est pas forcément juste à cent pour cent.
Les indicateurs financiers n’intéressent que ceux qui regardent de l’extérieur. Que voulez-vous dire par là ?
Ridha Chkoundali: Les chiffres officiels nous indiquent qu’il y a une amélioration en termes de balance commerciale et de balance de paiement. C’est un fait, sauf que ces indicateurs n’intéressent pas vrai[1]ment le citoyen tunisien. Ils intéressent essentiellement les instances internationales, je parle du FMI, avec qui nous avons entamé des négociations.
Et là, c’est le paradoxe tunisien. On refuse de négocier avec le FMI parce qu’on ne veut pas se plier à ses conditions, et d’un autre côté, on présente ces indicateurs comme étant des réalisations. Des réalisations qui s’avèrent être le demandes du FMI.
En fait, le discours sur les réalisations en termes de balance commerciale et de balance des paiements, c’était celui des gouvernements d’avant le 25 juillet 2021. On pensait qu’après cette date, le discours allait changer pour être en corrélation avec le discours du président de la République, basé sur le compter-sur[1]soi, sans recours aux instances internationales. On pensait que le discours du gouvernement serait plutôt destiné aux Tunisiens. Les Tunisiens veulent des réalisations en termes de croissance économique, de taux de chômage, de pouvoir d’achat, d’inflation. Or, sur tous ces points, les indicateurs sont en train de se détériorer.
Comment expliquer cette détérioration ?
Ridha Chkoundali: Nous avons adopté en Tunisie une politique économique d’austérité. Ce serait bien si l’Etat avait baissé ses dépenses. Or, ce n’est pas le cas, le budget de l’Etat est en hausse.
La politique d’austérité a essentiellement touché les importations. Et là, on a fait l’amalgame entre la baisse de l’importation des produits de consommation et celle des matières premières et des biens d’équipement et semi-industrialisés, qui sont nécessaires pour la création de la richesse, donc pour la croissance économique. Chaque produit fabriqué en Tunisie est composé, en grande partie, de produits importés. Ne pas importer les matières premières et les biens d’équipement et semi-industrialisés, cela veut dire ne pas produire. Ne pas produire, cela veut dire : ne pas faire de croissance, créer du chômage, faire baisser le pouvoir d’achat.
En 2023, on a fait le choix de privilégier les indicateurs financiers sur l’économie réelle. C’est un faux calcul lorsqu’on sait que sur le long terme, on ne peut pas avoir de bons indicateurs financiers sans une économie réelle forte. On a inversé les choses. On dit non aux instances internationales et on applique leurs recommandations. On est en pleine contradiction.
Bilan négatif pour 2023. Au vu de la loi de finances 2024, qu’en sera-t-il pour cette nouvelle année ?
Ridha Chkoundali: Si on croit ce qui est advenu dans la loi de finances 2024, on continuera avec cette contradiction.
L’intitulé de notre politique économique pour 2024, c’est l’austérité. Or, encore une fois, ce n’est pas l’Etat qui aura à appliquer la politique d’austérité, ce sont plutôt les entreprises économiques et les citoyens. Encore une fois, on va diminuer l’importation des matières premières et des biens d’équipement et semi-industrialisés en contrepartie de l’augmentation du budget de l’Etat, soit 6.7 milliards de dinars. Si on les ajoute aux 10.7 milliards de dinars de 2023, cela donnera une augmentation de 17 milliards de dinars en deux ans. 17 milliards de dinars, rappelons-le, c’était le budget de l’Etat en 2010, alors qu’on faisait plus de 3 points de croissance !
En fait, en 2024, on n’est pas dans la perspective d’une croissance économique. Tout comme en 2023, le budget de l’Etat s’annonce en totale contradiction avec le discours officiel du président de la République, qui ne cesse de répéter qu’il faut compter sur soi. La preuve : l’endettement extérieur est en augmentation de 5.9 milliards de dinars, par rapport à 2023, il atteint 16 milliards de dinars. L’augmentation est donc de 6.7%. De même, et alors qu’on affirme que le budget 2024 sera un budget social, on augmente les taxes de 4.5%. On pourrait comprendre ces augmentations, si elles allaient de pair avec une croissance économique. Si on emprunte le même schéma qu’en 2023, et tout laisse à croire que ce sera le cas, on ne s’en sortira pas. Ce n’est pas possible.
Extrait de l’interview qui est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 885 du 3 au 17 janvier 2024