Un nouveau rapport de la Banque mondiale et d’IFC met en lumière le rôle que le secteur privé peut jouer pour aider la Tunisie à faire face au défi climatique.
En Tunisie, une sixième année consécutive de sécheresse a entraîné une baisse significative de la production agricole, affectant les revenus de milliers d’agriculteurs, la croissance économique et la sécurité alimentaire du pays.
Précipitations réduites et plus variables, phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et violents, élévation du niveau de la mer, érosion côtière… La situation géographique de la Tunisie en fait l’un des pays les plus exposés au changement climatique dans la région méditerranéenne, avec des conséquences déjà palpables sur l’activité économique.
Mais il est possible d’inverser la tendance. Et la Tunisie a tout à gagner à intensifier ses efforts pour s’adapter à la nouvelle réalité climatique et à décarboner son économie, en particulier dans le secteur de l’énergie. Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale et de la Société financière internationale (IFC) sur le climat et le développement en Tunisie, les actions et investissements en faveur du climat pourraient, outre la réduction des émissions de gaz à effet de serre, accroître le PIB de la Tunisie de 9 % et faire reculer le taux de pauvreté de 12 % à l’horizon 2030.
Pour réaliser cet objectif, le rapport souligne le rôle que le secteur privé tunisien peut – et doit – jouer, notamment en tant que source de financement et d’innovation, dans trois domaines principaux : l’agriculture, les infrastructures et la décarbonation des chaînes de valeur énergivores.
Le secteur agricole est le premier consommateur d’eau en Tunisie, l’irrigation comptant 75 % de la demande en eau souterraine du pays.
Pilier de l’économie tunisienne, l’agriculture est l’un des secteurs les plus touchés par les dérèglements climatiques. En raison des pénuries d’eau, la production de céréales devrait être divisée par trois lors de la saison 2022-2023. Face à ces défis, renforcer la résilience des producteurs et améliorer l’utilisation de l’eau constituent deux opportunités pour le secteur privé. Alors que seuls 8% des exploitations agricoles tunisiennes sont aujourd’hui assurés, il est impératif de mieux protéger les producteurs contre les effets du changement climatique. L’assurance agricole est à la fois une nécessité pour les agriculteurs et un marché à exploiter pour les institutions financières. À cet effet, IFC a réalisé un diagnostic des solutions disponibles, dont les conclusions contribueront à améliorer l’offre de produits pour les petits exploitants et les PME agricoles.
Une meilleure gestion de l’eau représente une autre source majeure de résilience pour l’agriculture tunisienne. Le secteur agricole est le premier consommateur d’eau en Tunisie, l’irrigation comptant 75% de la demande en eau souterraine du pays. Investir dans des techniques d’irrigation plus efficaces, comme le goutte-à-goutte, permettrait de réduire la consommation d’eau et de prévenir les conflits entre les utilisateurs.
Une deuxième opportunité d’investissement majeure se trouve dans le développement d’infrastructures permettant à la Tunisie de s’adapter à la nouvelle donne climatique. C’est notamment le cas dans les secteurs de l’eau et de l’énergie. Dans les pays en situation de stress hydrique comme la Tunisie, le secteur privé peut en effet fournir des solutions et des technologies pour accroître l’approvisionnement en eau. En Égypte, par exemple, IFC a signé en mars un accord pour aider le pays à structurer et à mettre en œuvre des partenariats public-privé (PPP) dans des projets de dessalement d’eau de mer.
Avec près de 3 000 heures d’ensoleillement par an et un potentiel éolien de 8 gigawatts, la Tunisie dispose aussi d’un grand potentiel dans le domaine des énergies renouvelables. Une opportunité que le gouvernement cherche à exploiter à travers la Stratégie énergétique, qui prévoit de porter la part des énergies renouvelables à 30% de la production électrique totale d’ici 2030.
La Tunisie a les moyens de renforcer sa résilience climatique et de se positionner comme pionnière de la durabilité au Maghreb.
Le secteur privé peut contribuer à mettre en œuvre cette ambitieuse stratégie, comme en témoigne le projet solaire de Kairouan, le premier projet à grande échelle dans le domaine, porté par la société émiratie AMEA Power et cofinancé par IFC et la Banque africaine de développement (BAD).
Enfin, la troisième grande opportunité pour le secteur privé se situe dans la décarbonation des principales chaînes de valeur du pays, notamment au niveau de la demande en énergie.
C’est particulièrement vrai dans les filières énergivores telles que l’industrie, les transports et le bâtiment, où l’amélioration de l’efficacité énergétique est indispensable pour permettre aux particuliers et aux entreprises de réduire les coûts tout en adoptant des pratiques et des modes de consommation plus verts et plus durables.
À ce titre, IFC a offert des diagnostics d’efficacité des ressources à des entreprises pharmaceutiques tunisiennes. Ces diagnostics, axés sur l’usage de l’énergie, de l’eau et des intrants, visent à identifier des mesures opérationnelles et des investissements permettant au secteur de concilier rentabilité et durabilité.
Même si les défis sont nombreux, la Tunisie a les moyens de renforcer sa résilience climatique et de se positionner comme pionnière de la durabilité au Maghreb.
Réaliser cette ambition nécessitera néanmoins la mise en œuvre d’un nouveau modèle économique, conciliant les efforts en matière de développement avec la lutte contre le changement climatique ainsi que la création de conditions favorables aux investissements privés.
Présente depuis plus de 60 ans en Tunisie, IFC est plus que jamais engagée à soutenir le gouvernement et le secteur privé tunisiens dans cet effort afin de contribuer à bâtir un avenir prospère et durable pour toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens.
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* Sarah Morsi est la responsable d’IFC pour la Tunisie et la Libye. IFC est la principale institution de développement axée sur le secteur privé dans les pays émergents. Au cours des cinq dernières années, IFC a investi et mobilisé plus de 140 millions de dollars en Tunisie pour soutenir le développement de l’agro-industrie, de l’industrie manufacturière, du secteur financier et des énergies renouvelables.
Cette tribune est parue dans le magazine de l’Economiste Maghrébin n° 884 du 20 décembre 2023 au 3 janvier 2024