La Tunisie se contentera de présenter devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye un exposé verbal relatif aux violations commises dans les territoires palestiniens, mais ne souscrira pas à l’action en justice intentée par l’Afrique du Sud, car cela équivaut à une reconnaissance implicite de « l’entité occupante ». Telle est la position officielle de la Tunisie dont on a du mal à saisir le raisonnement logique.
C’est une affaire judiciaire historique. Après avoir délibéré jeudi 11 et vendredi 12 janvier 2024, la Cour internationale de justice à La Haye devra trancher dans la plainte présentée par l’Afrique du Sud contre l’Etat hébreu.
Ainsi, Pretoria, qui a saisi en urgence la plus haute juridiction des Nations unies, accuse Israël de violer la Convention des Nations unies sur le génocide signée en 1948, et exhorte les juges d’ordonner à Israël de « suspendre immédiatement ses opérations militaires » dans la bande de Gaza. Des opérations qui ont fait au moins 23 357 morts, en majorité des femmes et des enfants, selon le dernier décompte macabre du ministère palestinien de la Santé.
A noter qu’en sa qualité de pays cosignataire de ladite Convention, l’Afrique du Sud – qui a toujours été un fervent soutien de la cause palestinienne au point que Nelson Mandela, le héros de la lutte anti-apartheid, avait affirmé que « la liberté de l’Afrique du Sud serait incomplète sans celle des Palestiniens » – peut légalement poursuivre Israël devant la CIJ, qui statue sur les différends entre États.
A savoir que les décisions de la CIJ sont sans appel et juridiquement contraignantes, mais elles n’ont aucun pouvoir pour les faire appliquer. A titre d’exemple, la CIJ avait ordonné en mars 2022 à la Russie de « suspendre immédiatement » son invasion de l’Ukraine, une injonction superbement ignorée par le Kremlin.
Des accusations « absurdes », selon Israël
Comme prévisible, l’Etat hébreu fait tout pour discréditer la plainte sud-africaine et menace même de porter plainte contre l’Afrique du Sud « pour soutien à une organisation terroriste ».
Le président israélien a déclaré qu’il n’y avait « rien de plus atroce et absurde » que les accusations de Pretoria. Lequel a soutenu sans rire que Tsahal « fait tout son possible, dans des circonstances extrêmement compliquées sur le terrain, pour s’assurer qu’il n’y aura pas de conséquences imprévues ni de victimes civiles ». Sans commentaire !
Pour l’administration américaine de Joe Biden, soutien inconditionnel d’Israël, les accusations formulées par Pretoria sont « sans fondement ». Sans commentaire bis.
Actes génocidaires
« Aucune attaque armée sur le territoire d’un État, aussi grave soit-elle, ne peut justifier une violation de la Convention », a affirmé le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola, devant la Cour ; ajoutant que « la réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre a franchi cette ligne et a donné lieu à des violations de la Convention des Nations unies sur le génocide », a-t-il soutenu devant la quinzaine de magistrats de la CIJ présents à l’audience.
Pour sa part, Adila Hassim, avocate de l’Afrique du Sud, a affirmé devant la quinzaine de magistrats de la CIJ présents à l’audience que la campagne de bombardements menée par Israël à Gaza vise à « la destruction de la vie des Palestiniens » et pousse les Gazaouis « au bord de la famine ».
« Les génocides, poursuivait l’avocate sud-africaine, ne sont jamais déclarés à l’avance, mais cette cour bénéficie des 13 dernières semaines de preuves qui montrent de manière incontestable un modèle de comportement et d’intention qui justifie une allégation plausible d’actes génocidaires ».
Ambiguïté
Et que dire de la position de la Tunisie qui affiche solennellement son soutien « indéfectible » à la cause palestinienne ?
Dans un communiqué publié mercredi 10 janvier 2024, le ministère des Affaires étrangères a indiqué que la Tunisie s’inscrirait « sur la liste des pays qui vont présenter des exposés oraux devant la Cour internationale de justice sur les conséquences juridiques découlant de la violation persistante par l’entité occupante du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées des territoires palestiniens occupés ».
Le département précise également que l’exposé de la Tunisie serait élaboré « par l’une des compétences nationales en matière de droit international », sans pour autant dévoiler son identité.
Toutefois, ajoute le communiqué, « la Tunisie ne souscrirait à aucune action judiciaire intentée contre l’entité occupante devant la Cour internationale de justice ». Pourquoi ? Parce que « pareille action serait une reconnaissance implicite de cette entité ».
D’ailleurs, le même argument avait été utilisé par les autorités tunisiennes à deux reprises : primo, pour justifier le veto présidentiel à une proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation à l’Assemblée des représentants du peuple. Secundo, pour refuser de soutenir une résolution d’aide humanitaire à Gaza à l’ONU, sous prétexte que la résolution onusienne ne condamne pas suffisamment Israël.
Des actes à la place des slogans
Cela ne semble pas être l’avis de l’activiste politique Mabrouk Korchid. Lequel a affirmé dans son intervention jeudi 11 janvier 2024 sur les ondes de IFM que « se joindre aux efforts de l’Afrique du Sud ne pourrait en aucun cas constituer une reconnaissance de l’entité occupante tel qu’annoncé par la diplomatie tunisienne ».
La preuve ? L’ancien secrétaire d’État tunisien chargé des Domaines de l’État et des Affaires foncières rappelle que la Tunisie avait porté plainte en octobre 1985 contre Israël auprès des Nations unies à la suite des bombardements israéliens ayant visé le quartier général de l’OLP à Hammam-Chott, « et cela n’a nullement été considéré comme une reconnaissance de l’entité sioniste ».
A contrario, « deux jours plus tard, le Conseil de sécurité a voté la résolution 573 et condamna énergiquement l’acte d’agression armée perpétrée par Israël contre le territoire tunisien, en violation flagrante de la Charte des Nations unies et du droit et des normes de conduite internationaux », a-t-il poursuivi.
Enfin, l’intervenant a suggéré à l’État tunisien de saisir plusieurs organes de justice internationale, dont la Cour pénale internationale (CPI), pour porter plainte contre le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, pour crimes de guerre. « Il y a moyen de faire autre chose que scander des slogans », a-t-il conclu.