Si 2024 est une grande année électorale dans le monde, les scrutins prévus s’inscrivent dans un contexte de crise du modèle démocratique. Si le modèle de l’État démocratique repose sur le principe de souveraineté populaire, les peuples ont l’impression de ne pas avoir leur destin entre leurs mains, dans un monde plus complexe que jamais. Au-delà de l’échec actuel du printemps démocratique dans le monde arabe, en Occident, de plus en plus de responsables et citoyens cèdent au discours de l’autoritarisme et du nationalisme sur fond de montée de la violence politique.
Dans Principes du gouvernement représentatif, Bernard Manin dégage cinq principes pour identifier un gouvernement représentatif : les gouvernants sont élus par des gouvernés à intervalles réguliers; les gouvernants conservent une marge d’indépendance par rapport aux gouvernés; l’élu agit pour le bien commun; les gouvernés conservent la possibilité de se faire entendre en dehors de la voix de leurs représentants; la décision collective résulte de la discussion/délibération. Si les élections doivent être libres, pluralistes et transparentes, le modèle démocratique ne se résume pas à sa dimension électorale.
Le modèle démocratique
Le principe démocratique – « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » – est par définition évolutif et perfectible. Il ne cesse pour autant d’évoluer. La montée des exigences en matière de participation citoyenne et d’institutionnalisation de la garantie des droits fondamentaux de l’individu a transformé des régimes démocratiques. L’arbitraire d’un pouvoir élu est censé être neutralisé par un principe d’État de droit incarné dans la figure d’un tiers pouvoir – le juge – et autorisant le développement de contre-pouvoirs extra-institutionnels ou en dehors de l’État.
Mais, la démocratie n’exclut pas la faculté de contrôler la volonté de la majorité. Dans la logique du constitutionnalisme moderne, l’État de droit est en effet inhérent au modèle démocratique : « [s]i tout État de droit n’est pas nécessairement une démocratie, toute démocratie doit être un État de droit » (M. Troper).
La crise de la démocratie en Occident
Les démocraties américaines et européennes sont en crise. Au-delà d’une abstention électorale substantielle, c’est la croyance dans le pouvoir politique de peser sur le réel qui décline. Un sentiment d’impuissance qui nourrit l’attraction pour des valeurs comme l’autorité et le rejet du libéralisme politique.
Les élections européennes de juin n’échapperont pas à ce mouvement de fond et risquent de traduire une nouvelle poussée des forces d’extrême droite. Bien qu’ils cultivent des histoires propres et des divergences politiques (sur le rapport à l’Union européenne (UE) ou à Poutine), ces partis partagent une même stratégie qui consiste à exploiter les colères et angoisses sociales et identitaires d’une partie des peuples du Vieux continent.
Une stratégie qui s’avère efficace : les idées et les partis de l’extrême droite européenne connaissent une dynamique d’expansion. Leurs représentants sont au pouvoir en Hongrie, en Suède, en Italie et viennent de gagner les élections législatives aux Pays-Bas. Ils connaissent une montée historique en Allemagne, en Autriche et en France. Une dynamique nourrie par la consécration de ses idées et de ses discours par les partis de gouvernement. En témoignent le contenu et le vote de la dernière « loi immigration ».
Aux Etats-Unis, ni la défaite de Trump à la dernière élection présidentielle, ni ses ennuis judiciaires n’ont mis fin à la carrière de cet animal politique. Il est même donné favori pour l’élection de novembre 2024. Un leadership associé à l’affirmation de l’idéologie nationaliste et xénophobe, qui se conjugue avec une manière brutale d’assumer la violence politique. Si la violence politique est au cœur de l’histoire des Etats-Unis, le trumpisme, s’y est enracinée. Signe du déclin moral d’un pays qui perd ses repères libéraux.
Si la conviction d’incarner « la plus grande démocratie au monde » fut au cœur de sa politique internationale, ce qui se joue désormais est la sauvegarde du modèle démocratique. Le président Biden l’a lui-même reconnu, n’hésitant pas à dramatiser l’enjeu du scrutin présidentiel : « Nous savons tous qui est Donald Trump. La question qui se pose est : qui sommes-nous ? », a-t-il dit. Une question existentielle qu’il devrait également se poser au regard du soutien inconditionnel et criminel à la guerre israélienne contre les Palestiniens…