Dans un court entretien, Hichem Elloumi, chairman et CEO de Coficab group, descendant d’une lignée de capitaines d’industrie au long cours, nous dit ses espoirs, ses attentes, ses appréhensions aussi. Son modèle serait une sorte de pacte national d’ordre moral, une entente parfaite entre les partenaires sociaux. L’administration au service du public et de l’économie et les entreprises assumant leur responsabilité sociale et sociétale au service du pays. Il s’inscrit dans cet état d’esprit. Le chairman qu’il est n’éclipse pas le responsable et vice-président de la centrale patronale. Il plaide moins pour sa chapelle qu’il défend la cause nationale. Il ne cache pas certaines frustrations de ne pas voir monter à son plus haut niveau le curseur de la croissance. «Nous le voulons, nous le pouvons et nous le devons». En échange, il laisse entendre que les entreprises ont moins besoin d’avantages ou de privilèges que d’un environnement d’affaires sain, débarrassé de ses obstacles et entraves à l’investissement. Ici et ailleurs. Mention spéciale: réhabiliter encore et toujours la valeur travail. De partout dans le monde soumis à la loi du changement, il mesure la vertu du travail bien fait et d’une bonne gouvernance. Manière de mettre en garde contre le coût du travail au rabais et des dysfonctionnements en tout genre. A méditer. Entretien.
Le bilan économique 2023 est plutôt décevant. Que peut-on ou doit-on faire pour relancer la machine économique?
On a besoin, avant tout, aujourd’hui, d’établir un dialogue public-privé efficace et véritable. Il faut rétablir la confiance entre ces deux secteurs. Il y a aujourd’hui comme un malaise dans le secteur privé, qui vient de subir plusieurs chocs. Il y a eu la crise de Covid et la guerre en Ukraine qui ont engendré comme conséquences une pénurie de matières premières et une augmentation des coûts. Un vrai choc pour les entreprises tunisiennes qui sont soumises à une concurrence internationale féroce, notamment des pays concurrents dans le bassin méditerranéen, qui ont été plus agressifs et plus rapides dans la prise de décision.
Il est par ailleurs nécessaire, aujourd’hui, d’accélérer le rythme des grandes réformes qui sont sur la table depuis maintenant plus de deux ans. Je pense, par exemple, au code de change et à la loi sur l’investissement. Il y a aussi les pactes de compétitivité, dont plusieurs sont pratiquement prêts et n’attendent qu’à être activés pour permettre aux secteurs concernés d’accélérer leur développement. C’est l’essence même du partenariat entre le secteur privé, qui doit naturellement s’engager sur des objectifs d’exportation et d’investissement, et le gouvernement, qui s’oblige à mettre en place un certain nombre de réformes orientées vers ces secteurs-là.
Pour rappel, le pacte textile et le pacte automobile ont déjà été signés. Il y en a d’autres qui doivent l’être aussi entre les fédérations concernées de l’UTICA et le gouvernement.Je citerais l’exemple du développement durable et de l’énergie renouvelable. Plus de 96% de l’énergie en Tunisie est carbonée, il faut la décarboner à travers l’énergie renouvelable. On est très en retard sur ce volet. C’est dire l’importance d’un pacte axé sur l’énergie en libérant, notamment, le potentiel du secteur privé dans les énergies renouvelables.
En fait, pour relancer l’économie, il faut penser à favoriser les deux moteurs de la croissance, à savoir l’investissement et l’exportation. Cela est possible en simplifiant les procédures, en éliminant les autorisations et en encourageant toutes les innovations, toutes les nouvelles idées.
Je pense qu’il y a aussi un effort à faire pour encourager les exportations. Imposer une TVA sur les société de commerce internationales est un non-sens car cela a conduit à mettre en difficulté un écosystème auparavant efficace.
On ne le dira jamais assez, il faut encourager l’exportation, l’investissement. Bref, tout ce qui est créateur d’emploi, innovation, développement durable, les activités à forte valeur ajoutée… Tous ces points sont très importants.
Vous dites qu’il faut rétablir la confiance entre le public et le privé. Comment voyez-vous la chose ?
Il faut redonner confiance aux investisseurs et aux chefs d’entreprise à travers un dialogue public-privé réel et efficace.
Vous venez d’évoquer l’exportation comme moteur de croissance pour une économie qui veut conquérir des marchés tiers et notamment l’Afrique. Votre groupe est l’un des premiers à l’avoir fait. Il y a aussi beaucoup de questions sur lesquelles il faut travailler, notamment en ce qui concerne la logistique et le financement.
Je pense qu’au niveau du commerce international et de l’exportation, il faut d’abord consolider nos relations avec notre premier marché, qui est l’Union européenne. Il faut continuer à favoriser l’exportation vers le marché européen.
Il faut aussi, comme vous le dites, penser à l’Afrique, un continent en forte croissance. Pour cela, il faut disposer d’un mode de transport aérien et maritime plus efficace et d’un système bancaire et financier plus présent pour accompagner les investisseurs et exportateurs tunisiens.
Il faudra, d’autre part, accélérer la phase de la mise en œuvre de l’accord avec la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) qui va libérer les échanges commerciaux sur l’ensemble de l’Afrique, avec un programme de démantèlement douanier.
En tout état de cause, le développement de l’entreprise tunisienne à l’international est essentiel. Cela se fait à travers l’exportation, mais aussi à travers l’investissement. On l’a beaucoup évoqué dans nos discussions avec le ministère de l’Economie.
Certes, il faut attirer les investissements étrangers en Tunisie, mais aussi aider les entreprises tunisiennes, quand elles ont une opportunité de marché à l’extérieur, à investir à l’étranger, à s’internationaliser.
On me demande souvent pourquoi notre groupe investit à l’étranger, ma réponse est la suivante : nous avons d’abord investi en Tunisie pour satisfaire aux besoins du marché local, mais aussi du marché à l’export. Il y a des marchés que vous ne pouvez atteindre que si vous y êtes implantés. C’est une logique de croissance. Mieux encore, les investissements à l’étranger permettent de consolider les entreprises et les investissements en Tunisie.
Une dernière question. Vous avez parlé du Covid et de la guerre en Ukraine, mais fort heureusement, on s’aperçoit qu’il y a comme une certaine résilience des entreprises tunisiennes. Comment expliquez-vous cela ?
C’est vrai. Nous avons en Tunisie un tissu économique entrepreneurial qui a montré ses capacités de résilience. C’est une réalité qui se confirme, dans l’exportation par exemple où on continue à faire de la croissance. Comment l’expliquer ? … C’est que nous sommes bons. Nous avons un tissu entrepreneurial honorable et il faut en prendre soin. Il a été résilient, mais jusqu’à quand ? Il faut donc préserver ce tissu entrepreneurial pour qu’il puisse continuer à se développer.
Propos recueillis par Hédi Mechri et Mohamed Ali Ben Rejeb
Cet entretien est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 886 janvier 2024 spécial classement des entreprises