Elles sont encore en vie. Certaines d’entre elles respirent même la santé après qu’elles ont retrouvé des couleurs en ces temps troubles, minés par une succession de chocs aux effets dévastateurs. Nos entreprises, celles en tout cas qui ont survécu à la pandémie du Covid, au confinement et à la paralysie de l’économie mondiale, font mieux que résister. Elles doivent cette résilience à leur aptitude au changement, à leur capacité d’adaptation, à leur agilité, à leur sens de l’anticipation et surtout à une philosophie de l’action fondée sur une véritable logique industrielle. C’est le principal enseignement de l’édition 2023 du palmarès des entreprises tunisiennes. Vent debout, elles ont su et pu faire face à l’adversité.
Elles tiennent à ce jour le cap dans une mer déchainée, en pleine tempête, sans réelle éclaircie. L’instabilité politique et sociale de la décennie écoulée, les incertitudes géopolitique, économique, technologique, la dégradation du climat des affaires et le peu d’empressement de l’Administration, empêtrée dans son conservatisme et son maquis procédurier, ont certes perturbé leur plan de développement, mais sans compromettre pour autant leur expansion. Elles ont même gagné en maturité. Ces périodes de turbulence les ont incitées à innover, à affiner, à améliorer leurs outils de décision et leur mode de gouvernance. Nécessité fait loi.
La grave crise sanitaire a mis à l’arrêt l’économie mondiale. Elle a été relayée par la guerre russo-ukrainienne dont l’onde de choc a déstabilisé nos comptes extérieurs, durci les conditions de financement et les prélèvements obligatoires. Les dépenses d’importation de céréales et de carburants ont explosé. La bonne nouvelle : les recettes d’exportation de nos entreprises dans l’industrie, le tourisme et l’agrobusiness sont dans le vert et ont servi de parade, comme l’atteste l’amélioration de notre taux de couverture. Simple rebond conjoncturel ou tendance durable ? L’avenir nous le dira. Le fait est qu’on a pu réduire nos déficits abyssaux autrement que par une montagne de dettes qui ne tardera pas à faire grimper le curseur de la pression fiscale selon le précepte bien connu que les dettes d’aujourd’hui, ce sont les impôts de demain. Ce qui ne participe guère à la relance des investissements.
La bonne nouvelle : les recettes d’exportation de nos entreprises dans l’industrie, le tourisme et l’agrobusiness sont dans le vert et ont servi de parade
Sale temps pour les entreprises en quête de nouveaux repères, d’un meilleur positionnement stratégique, et sans doute aussi de nouveaux marchés à cause de la fragmentation du monde. Nos PME, dont le nombre s’est beaucoup rétréci, sont victimes d’un énorme effet d’éviction – en raison du poids des emprunts publics – et sont donc fragilisées par le manque de liquidité, le durcissement de l’accès au crédit et le coût du loyer de l’argent. Nos entreprises sont de surcroît surexposées aux risques et aux aléas économiques, financiers et technologiques. Elles livrent un dur combat pour se libérer de l’emprise de l’Administration qui ne brille pas par son audace, de l’informel qui gagne du terrain, et pour contourner bien d’autres obstacles. Le tout dans un contexte de guerre économique et commerciale mondiale et de défi technologique. Elles manquent de visibilité, alors qu’elles doivent sans relâche élargir leur champ de vision et leur périmètre d’action. Les entreprises, à l’image des véhicules, doivent disposer de puissants phares pour pouvoir circuler à vive allure dans l’obscurité ambiante qu’entretient une conjoncture économique par trop morose.
Trop de contraintes et pas assez de voies de passage balisées, fluides, et peu d’encouragement et de soutien effectifs des pouvoirs publics, engagés aujourd’hui dans une vaste opération juridico-financière pour solde de tout compte. Ce qui ajoute à la nervosité, au malaise, voire au décrochage des groupes de sociétés concernés. Cette campagne, pour légitime qu’elle soit, n’en est pas moins déstabilisante et n’est pas sans conséquence sur l’investissement, la croissance et l’emploi. Point besoin d’une telle offensive pour conforter certaines de nos entreprises dans leur mutisme pour diverses raisons. Sauf qu’on observe plus de réticence cette année. D’aucunes et non des moindres se sont abstenues, contrairement à leur habitude, de communiquer leurs résultats d’exploitation. A croire que le vieil adage « vivons heureux, vivons cachés » fait de nouveaux adeptes. Pas si sûr, car ce serait juger à tort es entreprises dont les résultats ont lourdement chuté.
Point besoin d’une telle offensive pour conforter certaines de nos entreprises dans leur mutisme pour diverses raisons.
Elles portent encore les stigmates des crises et chocs récurrents. Elles se protègent comme elles peuvent pour ne pas alarmer créanciers, fournisseurs et clients. C’est leur choix. Encore que, même dans ce cas, celles en convalescence ne manquent pas de mérite, même en l’absence de bilans flamboyants. D’avoir pu résister en ces temps difficiles, d’être encore en vie, de vouloir se projeter dans le futur et se construire un avenir dans une conjoncture et un climat d’affaires dégradés, relève de l’exploit. Réduire la voilure n’est pas toujours synonyme d’échec. Certains reculs préparent et préfigurent de nouvelles avancées et de réelles performances futures.
On aimerait connaître les entreprises confrontées à ces défis. On se sentirait plus rassurés au regard de l’effort qu’elles déploient et de la nature des enjeux. Le millésime 2023 du palmarès des entreprises rassure autant qu’il dérange et inquiète à cause des PME qui n’en sont plus et du nombre croissant de groupes qui se murent désormais dans le silence. Pour autant, la majorité des entreprises qui y figure a performé. Les entreprises publiques sont de retour, en attendant l’émergence sur une grande échelle de la nouvelle vague de startups qui soulève d’énormes attentes et espoirs. Et c’est un bon signe.
Le millésime 2023 du palmarès des entreprises rassure autant qu’il dérange et inquiète à cause des PME qui n’en sont plus et du nombre croissant de groupes qui se murent désormais dans le silence.
Les PME-PMI, dont le redressement est plus laborieux, ont besoin plus que d’autres de soutien et d’accompagnement. Sans doute davantage que ne prévoit la loi de finances 2024. Nos entreprises, grandes ou petites, sont ce que nous avons de plus précieux. Il faut les préserver, les aider à se reconstruire et à prospérer. Nous avons besoin davantage de PME, d’ETI et de champions nationaux pour résorber notre déficit en l’espèce. Ils sont pour l’heure les seuls appelés à créer les richesses, les emplois, les revenus, et à donner une perspective aux jeunes désorientés qui prennent de plus en plus les chemins de l’exode. C’est par nos entreprises et avec elles que se construit l’avenir de la nation. Elles sont l’expression de notre ambition nationale, le porte-drapeau et la vitrine du pays.
Les PME-PMI, dont le redressement est plus laborieux, ont besoin plus que d’autres de soutien et d’accompagnement. Sans doute davantage que ne prévoit la loi de finances 2024.
La richesse et la puissance des nations ? Ce sont elles. L’indépendance et la souveraineté économiques, dans le droit fil du compter-sur-soi? Ce sont encore elles. On ne connaît pas de plus nobles raisons pour nous réconcilier avec nos entreprises. Qu’elles soient locales ou non résidentes. Toutes, dans leur diversité, se battent pour nous. Les emplois qu’elles créent, les revenus qu’elles distribuent et l’image qu’elles donnent de nous dans le monde sont de nationalité tunisienne.
Cet éditorial est disponible dans le numéro spécial classement de l’Économiste Maghrébin de janvier 2024