Quels sont les enjeux du Sommet Italie-Afrique qui s’est tenu dimanche 28 et lundi 29 janvier 2024 à Rome? Et quel est le contenu réel du « plan Mattei » miroité par la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni? Enfin, l’Italie, lourdement endettée, est-elle en mesure de rivaliser avec des pays comme la Chine qui cherchent à s’implanter en Afrique, un continent doté de ressources naturelles abondantes?
Ce n’est pas la première fois que le président de la République Kaïs Saïed, dont les déplacements à l’étranger sont rares, visite l’Italie.
Une première fois en juin 2021, à l’invitation du président italien, Sergio Mattarella, il entamait une visite officielle de deux jours dans la Ville Eternelle, pour discuter de la coopération bilatérale et des dossiers régionaux et internationaux.
L’an dernier, il se rendit à Rome pour participer à la « Conférence internationale sur le développement et la migration ». Et ce, dans le cadre du Sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires+2, tenu du 24 au 26 juillet au siège de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à Rome. S’imposant comme un leader tiers-mondiste, il y prononça un discours dans lequel il fustigea la politique de l’Occident à l’égard de l’Afrique. De même qu’il appela à allouer un nouveau fonds international financé par les bailleurs de fond au profit du continent africain. En plus d’annuler les dettes qui pèsent sur les pays africains. Sachant que selon le Fonds monétaire international (FMI), la dette de l’Afrique s’élevait en 2023 à environ 1 000 milliards de dollars. Alors que 22 pays africains souffrent du fardeau de la dette ou sont incapables d’honorer leurs obligations financières envers leurs créanciers.
Ce dernier week-end, le chef de l’Etat tunisien s’est envolé dimanche pour Rome, pour prendre part au Sommet Italie-Afrique dont les travaux se déroulent les 28 et 29 janvier au Palais Madame, siège du Sénat de la République italienne. Il y a mené des discussions avec des chefs d’Etat africains et notamment échangé avec le président du Conseil italien, Charles Michel, la présidente de la commission européenne, Ursula Von Der Leyen et la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni.
Partenariat « d’égal à égal »
S’exprimant à l’ouverture du Sommet Italie-Afrique auquel participaient plus 25 pays africains et de représentants de l’Union européenne, Giorgia Meloni a appelé de ses vœux un nouveau partenariat avec l’Afrique, en prônant une approche « d’égal à égal ».
Concrètement, et en échange d’une coopération accrue en matière de migrations, elle a promis d’engager dans un premier temps 5,5 milliards d’euros dans un plan baptisé du nom d’Enrico Mattei, fondateur de l’Eni, le géant énergétique public italien. (Dans les années 1950, il préconisait un rapport de coopération avec les pays africains, en les aidant à développer leurs ressources naturelles. NDLR).
« Nous pensons qu’il est possible d’envisager et d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire de nos relations. Une coopération entre égaux, loin de toute prédation ou de toute charité envers l’Afrique », déclarait la dirigeante italienne. Celle-ci ambitionne de faire de l’Italie la porte d’entrée sur les marchés européens du gaz naturel provenant d’Afrique, essentiel pour l’Europe depuis l’invasion russe de l’Ukraine. C’est dans ce contexte qu’Eni, le plus grand importateur de gaz naturel d’Italie, a révélé que l’Algérie, l’Égypte et la Libye « seront les principaux fournisseurs de gaz de la péninsule au cours des prochaines années ».
Le casse-tête chinois de l’immigration
Concernant le sujet brûlant de l’immigration, la présidente du Conseil italien, arrivée au pouvoir en 2022 sur la base d’un programme anti-migrants dont les résultats tardent à se faire sentir pour son électorat, a déclaré que « l’Europe devait soutenir l’industrie et l’agriculture en Afrique. Et ce, afin de renforcer les économies locales ». Mais surtout « de dissuader les jeunes africains d’émigrer vers le Nord ». Sachant que les débarquements en Italie des bateaux en provenance d’Afrique du Nord sont passés de quelque 105 000 migrants en 2022 à près de 158 000 en 2023.
Toutefois, a-t-elle reconnu, « l’immigration de masse ne sera jamais stoppée et les trafiquants d’êtres humains ne seront jamais vaincus, si nous ne nous attaquons pas aux nombreuses causes qui poussent une personne à quitter son foyer ».
Convoitise
Ainsi, Mme Meloni qui préside cette année le G7 et qui s’est engagée à faire du développement de l’Afrique « un thème central de son mandat », agit-elle en Afrique en bon samaritain?
Ne soyons pas candides. « Les états n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts », pour citer le général de Gaulle. La vérité, c’est que Rome souhaite prendre pied dans un continent qui suscite toutes les convoitises des pays occidentaux. Où, de l’avis des observateurs, l’avenir de la planète se jouera. Essentiellement donc en Afrique, un continent jeune, qui recèle des ressources et des richesses inestimables.
Faut-il alors s’étonner pour ces raisons que l’initiative italienne ait été accueillie par certains participants au Sommet Italie-Afrique avec une certaine froideur. Ainsi, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a souligné « la nécessité de passer des paroles aux actes ». Ajoutant non sans ironie à l’adresse de Mme Meloni : « Vous comprenez bien que nous ne pouvons plus nous contenter de simples promesses qui, souvent, ne sont pas tenues ». Bien dit!