On aurait tort de croire que le décrochage se limite au seul aspect industriel et économique. Le phénomène est beaucoup plus global et menace tout autant le sport de haut niveau, la culture, l’enseignement, la recherche, la médecine, l’innovation…, qui sont aujourd’hui au cœur de vastes interrogations nationales. A l’évidence, nous sommes peu présents sur le théâtre des compétitions mondiales, sans d’ailleurs de réelles assurances de succès.
Régression économique en premier, au regard de son ampleur, pour avoir été distancés par nos poursuivants, grands et petits. Désertification, voire vide sidéral culturel, faute de créativité et d’audace. Le sport, aux enjeux géopolitiques évidents, fait figure de point focal et de réceptacle de toutes ces déconvenues. Il arrive, dans bien des compétitions, qu’on ne soit même pas alignés sur la ligne de départ. Et quand on s’y trouve, c’est davantage pour faire de la figuration que pour postuler à de réels exploits collectifs qui se font de plus en plus rares. Les récents déboires footballistiques de la « Sélection » nationale viennent nous rappeler à notre triste réalité. Ils font ressortir au grand jour ce découplage qui nous a relégués au plus bas de l’élite de notre continent. Notre étoile a cessé de briller dans le ciel conquérant africain.
Notre étoile a cessé de briller dans le ciel conquérant africain.
Les « Aigles de Carthage » ont failli à leur légende. Ils ont, au fil des ans et des mois, perdu leurs griffes et jusqu’à leurs ailes. Ils nous ont fait perdre nos dernières illusions. Battue, humiliée, sortie par la petite porte à force d’accumulation de « choix » erronés et de décisions incohérentes, l’équipe de Jalel Kadri, que rien ne prédispose à ce poste, a plongé dans la tristesse un pays qui ne mérite pas un tel affront, attaché qu’il est aux couleurs nationales. Il rêvait d’une victoire, ne serait-ce que pour oublier les vicissitudes du temps. Il n’en fut rien, et au lieu de quoi, la désillusion, la sidération et la colère sont à leur paroxysme. Elles ont ajouté à la morosité du moment et à la crise ambiante le goût amer de la défaite. Notre sélection nationale nous a servi un football de la misère d’un sport roi, s’il en est, qui enflamme les foules et titille l’orgueil national. A moins qu’elle ait sciemment déroulé toute la panoplie de la misère du football, alors que les appelés sont grassement rémunérés.
Les « Aigles de Carthage » ont failli à leur légende. Ils ont, au fil des ans et des mois, perdu leurs griffes et jusqu’à leurs ailes
Ce n’est pas tant la défaite, voire la déroute en terre ivoirienne qui font problème et accentuent notre inquiétude. Les résultats sportifs sont certes entachés d’aléas: on peut manquer de réussite, sans que cela remette en cause les principaux fondamentaux. Il arrive même que de grandes nations de football trébuchent et se font éjecter dès les premiers tours éliminatoires. Ces accidents de parcours sont tout aussi affligeants, sauf qu’ils ne sont pas le signe d’un déclin structurel dont on n’a pas pris la mesure. En Côte d’Ivoire, les nôtres n’ont rien montré de ce qui caractérise le football moderne qui a tant évolué, à l’instar de toute autre discipline économique, culturelle, scientifique… Un système de jeu désuet, chaotique, de très basse intensité et des joueurs sans but précis, qui se cherchent sur le terrain plus qu’ils ne se portent à l’assaut de l’adversaire.
La descente aux enfers de notre football, comme partout ailleurs, est inscrite dans le désordre, dans l’absence d’une vision, d’un projet, d’un programme, d’une feuille de route, d’un calendrier et d’un engagement bien précis. On ne peut faire l’économie d’une telle démarche, si l’on veut préserver notre rang et notre notoriété à l’international. Les déboires du football tunisien ne sont pas un phénomène isolé. C’est le symptôme d’un mal qui se répand sur une large échelle. L’enseignement, la santé, les entreprises publiques, le transport, le logement, l’infrastructure, la logistique ne sont pas au mieux de leur état, alors qu’ils devraient figurer au premier rang des priorités de l’Etat. Difficile de se frayer un chemin quand on navigue à vue, parmi les récifs et par gros temps.
Au-delà de la triste réalité du terrain, la leçon nous est venue de la Côte d’Ivoire, pays organisateur de la Coupe d’Afrique des Nations. L’occasion pour ce pays de faire la démonstration de son renouveau, de son dynamisme
et de sa quête du futur. On y a vu des stades à profusion sur l’ensemble du territoire de standing mondial, de quoi nous faire pâlir d’envie. Où en sommes-nous par rapport à ce pays aux dimensions et aux moyens limités, ravagé il y a moins de dix ans par une guerre civile qui a failli le faire imploser ? Fini le temps où peu de pays africains osaient se comparer à la Tunisie, qui impressionnait par ses avancées économiques, technologiques, sociales et par son mode de gouvernance.
Fini le temps où peu de pays africains osaient se comparer à la Tunisie, qui impressionnait par ses avancées économiques, technologiques, sociales et par son mode de gouvernance.
Aujourd’hui, nous ne sommes plus, hélas, dans ce même registre, empêtrés que nous sommes dans d’horribles situations de hors-jeu. Le réveil fulgurant des nations africaines contraste avec le mal endémique et le recul qui sont les nôtres. On est bien loin du rêve tunisien. L’image que renvoie de nous le miroir africain n’est plus à notre avantage. Et plutôt que de l’admettre et de se rendre à l’évidence, on continue de vivre dans la nostalgie , qui confine au final au déni. Pour parler de football, mais pas que de cela, nos équipes locales ne tiennent plus la route, comme le sont d’ailleurs nos entreprises publiques et nos infrastructures. Elles sont criblées de dettes et ne sont plus en capacité d’attirer les talents qui font la différence. Le football, autant sinon plus que les autres disciplines, à l’instar des grandes enseignes dans l’industrie, la distribution ou les banques, participe au soft power national. Sans quoi, le pays ne peut rayonner et s’affirmer à l’international, s’attirer le respect et la sympathie d’un continent dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est l’avenir du monde.
Cet édito a été publié au N°887 de l’Économiste Maghrébin du 31 janvier au 14 février 2024