Optimiste de cœur et de raison, Taieb Bayahi, président de l’IACE revient sur les conditions de rebond des entreprises, les valeurs éthiques qui sont les leurs, sur les capacités de redressement et de réarmement de l’économie nationale, sur nos chances de reprendre notre place et de retrouver notre rang dans le groupe avancé des pays émergents. « Il faut qu’on se mette à penser à notre avenir, à changer notre avenir », nous affirme-t-il. Ce ne sera pas un exercice facile, « mais collectivement, on peut réussir ». Comment ? La réponse est dans l’interview.
Vous parlez de vision partagée. Comment, l’IACE, qui est quelque part un think tank qui publie chaque année un livre blanc, qui organise, à travers les Journées de l’entreprise, des réflexions annuelles, peut-il contribuer à cette vision ?
Taieb Bayahi: L’IACE a été créé par l’extraordinaire Mansour Moalla, qui a vu de son vivant l’évolution de son œuvre. Cette année, nous fêtons notre 40ème anniversaire. Pour répondre à votre question, je dirais que l’IACE a toujours été indépendant d’esprit. C’est cela qui fait sa valeur ajoutée. Notre valeur ajoutée, c’est dire les choses objectivement. Il est évident que nous avons des partis pris économiques. C’est tout à fait normal. Maintenant, c’est aux politiques de savoir comment utiliser ces réflexions pour les intégrer de manière à atteindre les objectifs de création de richesse, d’emploi, pour améliorer le pouvoir d’achat, assurer une vie décente aux Tunisiens, un service public décent au niveau de l’éducation, de la santé, du transport et de l’habitat. Le service public est aujourd’hui un petit peu déstabilisé, il ne remplit plus son rôle social.
Le problème n’est-il pas qu’on est dans une logique de court terme? Exemple : au lieu de penser à améliorer le transport public, on décide d’importer des voitures populaires, alors que le pays manque de devises et que le monde entier parle de décarbonisation.
Cet exemple montre en effet qu’on pense à court terme et cela ne date pas d’aujourd’hui. Si on avait pensé à améliorer les services du transport public depuis une vingtaine d’années, on n’en serait pas là aujourd’hui. Mais les choses étant ce qu’elles sont, il faut maintenant changer notre façon de penser. On n’a plus les moyens de penser à court terme. Là, on revient sur l’importance d’avoir une vision pour les dix, quinze ans à venir. Nous devons penser à notre avenir, penser à changer notre avenir.
La Tunisie, avec 12 millions d’habitants, avec tout le potentiel qu’elle a, avec son positionnement géostratégique, est-ce si difficile pour elle de décoller, de retrouver des niveaux de croissance de 6 et 7%?
C’est l’essence même de notre engagement. Je suis, en effet, un petit peu frustré de savoir qu’on en est là, alors qu’on a tout pour être mieux. Alors asseyons-nous tous ensemble et travaillons pour une vision de la Tunisie de demain. Mettons-nous d’accord sur ce qu’il faut faire et je peux vous assurer que nous pourrons atteindre facilement les 6 et 7% de croissance. Je peux même dire que nous pouvons atteindre une croissance à deux chiffres. Il suffit tout juste d’insuffler cette confiance dans les chefs d’entreprises. Immanquablement, ils vont investir. Cette dynamique donnera un élan de confiance à la classe moyenne et même à celle défavorisée, qui vont se dire que le train est en train de s’élancer et qu’il faut qu’ils y soient. Il suffit de raviver cette flamme. Elle est toujours vivace. Mettons-nous d’accord sur ce qu’il faut faire et le reste suivra.
Vous venez d’évoquer Mansour Moalla. Il nous renvoie à son mentor feu Hédi Nouira dont le projet de société avait la configuration d’un losange, avec une forte classe moyenne pour faire de la Tunisie la Singapour de l’Afrique.
Très beau et surtout très vrai ce qu’a dit feu Hédi Nouira et on ne peut, aujourd’hui, qu’être fier de ce qu’il a réalisé. Feu Hédi Nouira avant un objectif et il a décliné cet objectif en moyens. C’est exactement ce nous devons faire. Il faut tracer un objectif et trouver les moyens de le réaliser. Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un qui n’aime pas son pays, la Tunisie. Alors, quel que soit le gouvernement, quelle que soit la couleur politique du gouvernement et au-delà de sa façon de faire, il faut réfléchir ensemble aux moyens à mettre en place pour atteindre cet objectif, celui de créer de la richesse. Ce ne sera pas un exercice facile, mais collectivement, on peut réussir.
Pour finir sur une note sportive, lorsqu’on voit ce qu’a réussi à faire la Côte d’Ivoire en termes d’organisation et d’infrastructure lors de cette dernière CAN, et lorsqu’on voit la prestation de notre équipe nationale, on a comme un pincement au cœur.
Je crois que notre football est à l’image de ce qui se passe dans le pays. Aujourd’hui, il y a un certain état d’esprit qui fait qu’on pense qu’on est meilleurs que les autres. Or, on est loin de l’être. On ne vit pas seul. La Tunisie n’est pas seule. Elle est entourée d’un monde extérieur et elle doit en tenir compte. La CAN en est la preuve. Des pays que nous considérions comme, entre guillemets, sous-développés, pratiquent aujourd’hui le plus beau football du monde. Maintenant, il faut voir comment, eux, ils ont évolué et pourquoi, nous, nous n’y arrivons pas. Il ne faut pas croire que la vie est un long fleuve tranquille. Il faut savoir se remettre en cause. Depuis 2011, il y a eu beaucoup d’égarements. Nous n’étions pas gouvernés par les bonnes personnes. Aujourd’hui, nous cherchons toujours notre voie. Nous demandons au Président, au gouvernement, de nous guider. Contribuons à faire de notre pays une meilleure Tunisie dans l’avenir.
C’est faisable?
Nous sommes convaincus que le Président, comme les membres du gouvernement, sont des patriotes. Et je suis convaincu, de ce fait, que ce n’est pas un problème d’objectif. C’est un problème de méthode.
Propos recueillis par Mohamed Ali Ben Rejeb et H.M
Extrait de l’entretien qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 888 du 14 au 28 février 2024