Les chiffres de l’INS sont tombés : la Tunisie aura enregistré une croissance de 0,4 % sur l’ensemble de l’exercice 2023. « En nette amélioration » se réjouit le chef du gouvernement, Ahmed Hachani; des indicateurs « effrayants » selon certains experts en économie. De quoi être perplexe entre deux analyses diamétralement opposées.
Mark Twain disait : « Les faits étant têtus, il est plus facile de s’arranger avec les statistiques. » Cette réflexion tout en finesse ne s’applique-t-elle pas aux indicateurs économiques en Tunisie? Soit l’évolution du chômage, inflation, croissance économique, production, consommation ou encore le revenu des ménages, que le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, considère comme étant « en nette amélioration ». Alors qu’en revanche, la plupart de nos économistes sont unanimes à penser que ces données économiques sont plutôt « catastrophiques », voire « effrayantes ».
Etrange optimisme
Ainsi, à en croire le locataire du palais de la Kasbah, les indicateurs économiques « s’améliorent de manière significative ». De même que le travail se poursuit pour entreprendre « les réformes nécessaires grâce à nos propres ressources ». C’est ce qu’il a affirmé lors d’une réunion tenue, mardi 13 février 2024 avec les chefs de missions techniques et financières internationales accrédités en Tunisie; et ce, en présence des ministres des Finances, de l’Économie et de la planification, et de l’Industrie, des mines et de l’énergie. A cet égard, il a insisté sur « la nécessité de développer davantage la coopération internationale dans ses dimensions stratégiques ».
Dure réalité des indicateurs économiques
Douche froide. Au lendemain des déclarations euphoriques du chef du gouvernement, les chiffres annoncés le 14 février par le très officiel Institut national de la statistique (INS) sont tombés comme un couperet. Ainsi, selon une première estimation, la Tunisie aurait enregistré une croissance de 0,4 % sur l’ensemble de l’exercice 2023. Alors que la loi de finances rectificative de 2023 concoctée par le gouvernement Hachani tablait sur 0,9 % de croissance, soit plus de 50 % d’écart. La chute est terrible!
Réactions désabusées
En réaction « à la détérioration des indicateurs économiques, notamment le taux de croissance économique proche de zéro en 2023 (0,4 %) et l’augmentation du taux de chômage (16,4 %) », Afek Tounes a publié, hier lundi 19 février 2024, un communiqué imputant la récession et le ralentissement économique au pouvoir en place.
Et que propose le parti de Mme Rym Mahjoub en échange? « Il est nécessaire de trouver les solutions pour relancer l’économie nationale. En assainissant notamment le climat des affaires, en encourageant l’investissement, en mettant en œuvre les projets bloqués, en modifiant les lois bureaucratiques et les rentes obsolètes, en mettant en place un système fiscal attractif, en encourageant les jeunes à créer des entreprises dans le domaine des technologies modernes et en œuvrant à soutenir et sauver les petites et moyennes entreprises », lit-on dans ce communiqué.
Pour sa part, le dirigeant d’Attayar, Hichem Ajbouni a choisi la dérision pour commenter la « performance » de l’économie tunisienne. « La Tunisie est en train de se rétablir, Dieu soit loué », s’est-il ironiquement réjoui sur sa page FB, le 15 février 2024.
Et d’ajouter cinglant : « La solution est la transformation de la Tunisie en une entreprise communautaire nationale pour que le taux de croissance économique évolue et que la prospérité, le développement et le bonheur national brut se propagent dans tout le pays ».
Plus mesuré est le commentaire du professeur d’économie à l’Université de Carthage Moez Soussi qui estimait, vendredi 16 février 2024 dans l’émission Midi Show, que « 0,4 % de croissance est un taux préoccupant, car il reflète une perte considérable en recettes fiscales pour l’État; son impact se faisant sentir à tous les niveaux ».
Et de poursuivre : « Il existe des secteurs dont nous ne pouvons pas contrôler le taux de croissance, comme l’agriculture, car elle est liée aux changements climatiques ».
« La croissance est liée à quatre éléments essentiels, à savoir la demande, la production, la confiance des citoyens dans le présent et l’avenir, ainsi que le rôle de l’État », a-t-il encore expliqué. Tout en soulignant que « la demande intérieure est aujourd’hui devenue en Tunisie un frein à la croissance. Le problème aujourd’hui est la baisse significative de l’investissement. Ceci est très préoccupant dans la mesure où la Tunisie avait autrefois une soupape de sécurité qui était la demande intérieure ».
Des chiffres « effrayants »
Les chiffres de l’INS sont « effrayants » et « nécessitent une révision du modèle adopté depuis 2023 ». C’est ce qui ressort de l’intervention fort remarquée du professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali.
Celui-ci a indiqué, vendredi 16 février 2024 sur les ondes d’Express Fm, que les taux de croissance et de chômage sont étroitement liés : « Quand le taux de croissance augmente, celui du chômage diminue. Aujourd’hui les chiffres annoncés sont effrayants et nécessitent une révision du modèle adopté en 2023. En effet, nous constatons que le taux de croissance est en chute permanente. Cela confirme les dangers mentionnés dans le dernier rapport de Davos concernant les menaces qui guettent la Tunisie en 2024. »
« La déflation économique, expliquait-il, résulte des politiques adoptées par le gouvernement privilégiant le paiement des dettes au détriment de la croissance économique et la création des postes d’emploi. Ainsi, « le gouvernement a préféré utiliser les avoirs en devises pour le paiement des dettes extérieures au lieu d’importer les matières premières, réduisant ainsi la production. Cette baisse a considérablement réduit les recettes fiscales ».
Sur un autre volet, et concernant le taux de chômage chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans, qui a augmenté au cours du quatrième trimestre de l’année 2023, atteignant 40,9 % (contre 39,1 % au troisième trimestre de l’année et 38,8 % au quatrième trimestre de 2022), Ridha Chkoundali affirme qu’il s’agit de chiffres « qui font peur ». Constatant à l’occasion que le chômage chez les diplômés du supérieur a, quant à lui, diminué de 1,4 point, passant de 24,6 à 23,2%.
Par quel miracle? « Cette baisse est le résultat de celle des demandeurs d’emploi parmi les diplômés qui sont « de plus en plus nombreux à tenter leur chance à l’étranger », a-t-il souligné.
Maigre consolation.