Dans un entretien exclusif, Laurent Saint-Martin, Directeur général de Business France, en charge de la direction exécutive de l’agence en France et à l’étranger, en déplacement en Tunisie, évoque le dynamisme des relations économiques entre la Tunisie et la France. Avec des échanges annuels dépassant les 8 milliards d’euros et une forte présence d’entreprises françaises en Tunisie, les deux pays affichent une confiance mutuelle et travaillent ensemble sur des projets ambitieux dans les secteurs de l’innovation, de la transition écologique, et du développement industriel. Interview
Laurent Saint-Martin, vous êtes en déplacement en Tunisie, quelle est votre perception des relations actuelles entre la France et la Tunisie, notamment sur le plan économique ?
Laurent Saint-Martin : J’ai pu le mesurer au contact des chefs d’entreprises tunisiens comme de nos partenaires locaux : il y a un incroyable dynamisme en Tunisie ! La solidité, la richesse et la diversité de nos relations économiques en témoignent.
La France, de loin le premier client du commerce tunisien, est en retour l’un des plus importants investisseurs dans le pays. Les échanges annuels entre nos deux pays dépassent désormais les 8 milliards d’euros tandis que les flux d’investissements venus de France atteignent un niveau historique. Près de 1500 entreprises françaises ont des activités en Tunisie et y emploient plus de 150 000 personnes. Ces chiffres témoignent de la profonde confiance qu’entretiennent les entreprises de nos deux pays. Le retour de notre bureau à Tunis – où nous avons une équipe expérimentée de 10 personnes – le confirme : la densité de nos relations d’affaires est exceptionnelle. Nous devons renforcer l’existant et développer des partenariats gagnant-gagnant dans des secteurs d’avenir pour les prochaines années.
Autour de l’Ambassadrice de France, Mme Anne Guéguen, l’équipe économique France en Tunisie est unie et soudée au service du développement des liens entre les entreprises de nos deux pays. C’est le constat que j’ai pu faire ce mercredi, entouré des directeurs de l’AFD, d’Expertise France, de la CCIF, des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCE), du Service Economique Régional et des 7 prestataires privés référencés Team France Export en Tunisie (MAZARS, Chambre de Commerce Tuniso-Française, AWT, PRAMEX, Cabinets LAKHOUAL, et Cabinet EL AJERI et We Performance). Pouvoir compter sur la complémentarité de ces expertises est une véritable force.
En parlant d’engagement, quelles sont les principales opportunités et défis que vous identifiez dans la relation économique franco-tunisienne actuelle ?
On peut se concentrer sur les défis, je préfère y voir des opportunités. Ces opportunités, elles sont nombreuses, et je suis fermement convaincu que nous avons tout intérêt à les saisir ensemble, main dans la main. La Tunisie dispose de nombreux atouts : une population extraordinairement qualifiée, une position géographique au carrefour de l’Europe et de l’Afrique qui en fait un trait d’union naturel entre nos deux continents, une véritable expertise dans des secteurs clés, un secteur privé dynamique. Il est essentiel de capitaliser sur cette agilité en encourageant davantage de partenariats d’entreprise à entreprise. Nous pouvons aller encore plus loin dans l’innovation, l’industrie, le numérique, la transition écologique et énergétique, le tourisme, la formation ou encore l’agro-industrie. En privilégiant le dialogue et la coopération, notamment entre entrepreneurs, nous pouvons œuvrer ensemble vers des partenariats équilibrés et durables.
La Tunisie et la France travaillent-elles sur des projets spécifiques pour renforcer cette relation économique ?
Absolument. Nous collaborons sur plusieurs projets visant à renforcer notre relation économique, notamment dans les domaines de la décarbonation industrielle, des énergies renouvelables, de la tech et du numérique, ainsi que dans le co-développement en near-shoring pour l’Afrique et l’Europe. Les stratégies de co-développement entre la Tunisie et la France ouvrent des opportunités nouvelles, et nous voyons un nombre croissant d’entreprises françaises et tunisiennes s’orienter vers des démarches de partenariat poussées. Parmi les entreprises françaises engagées sur cette voie, plusieurs nourrissent d’ambitieux projets d’implantation ou d’extension de leurs activités sur le sol tunisien. On peut citer, pour donner quelques exemples, le groupe ACTIA dans le domaine de la mobilité, SAGEMCOM dans l’électronique, BENETEAU dans les navires de plaisance, NUMERYX et SOFRECOM dans les logiciels, SOCOMEC dans le matériel électrique, SANOFI dans la pharmacie ou encore TESCA dans l’automobile. D’autres investissements seront concrétisés en 2024, c’est une dynamique que nous soutenons.
En parallèle, de nombreuses entreprises tunisiennes souhaitent se développer en France et en Europe afin de se rapprocher de leurs clients et bénéficier de l’extraordinaire effet de levier du marché européen. Avec le plan d’investissements France 2030, qui prévoit 54 milliards d’euros pour accélérer les secteurs d’avenir, nous faisons du site France un choix encore plus attractif pour les entreprises tunisiennes. Plusieurs ont d’ailleurs des projets d’implantations ou d’extensions, que nous accompagnons en France en lien avec les Régions.
Comment voyez-vous l’évolution de ces relations économiques dans les années à venir ?
J’ai confiance. Les fondamentaux de notre relation économique sont solides, et nos deux pays partagent une vision commune pour l’avenir. La Tunisie est un partenaire stratégique dans notre agenda de coopération méditerranéenne et africaine. Le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la mise en place prochaine d’un Fonds Maghreb pour faciliter les projets d’investissements français en Afrique du Nord. Ce fonds sera géré par Bpifrance et devrait financer des initiatives privées pour créer de l’emploi et de la valeur sur la rive Sud de la Méditerranée. En complément, nous développons un accompagnement international spécifique des entreprises depuis la France, pour faciliter l’analyse, la prise de décision et le suivi dans la durée, en lien avec tous nos partenaires, notamment la CCITF et les prestataires référencés en Tunisie.
Par ailleurs, le processus de réindustrialisation européen et français, initié en réponse aux faiblesses révélées par la crise du COVID-19, favorise les partenariats industriels de near-shoring. Les acteurs tunisiens comme marocains sont très bien placés en termes de coûts et de capacité logistique pour y répondre. Les besoins en solutions innovantes en matière de décarbonation, de sobriété, de transition écologique, ou de formation professionnelle sont nombreux.
En termes de développement durable et de transition écologique, quels sont les projets ou initiatives phares entre la France et la Tunisie ?
La transition écologique est un domaine prioritaire pour nos deux pays. Un exemple concret : notre partenariat dans le secteur de l’énergie solaire, où des entreprises françaises contribuent à l’expansion des capacités de production tunisiennes, en alignement avec les objectifs de développement durable du pays. Je me réjouis d’ailleurs de l’implantation récente de EDF ENR, spécialiste de la transition énergétique d’entreprises, que nous accompagnons activement.
Lors du Forum Méditerranéen de l’Eau qui s’est tenu début février 2024 à Tunis, nous avons mobilisé 15 entreprises françaises spécialisées qui apportent des solutions concrètes. C’est par exemple le cas du groupe français Suez, qui s’apprête, avec son partenaire ONAS, à mettre en œuvre le premier partenariat public-privé dans le domaine de l’assainissement en Tunisie. L’objectif est de contribuer, par la mise en commun de technologies et de savoir-faire, à mettre au point des solutions novatrices de sobriété dans la gestion des eaux usées. C’est une bonne illustration de notre travail d’écoute et de mise en relation des acteurs tunisiens et français désireux de collaborer dans la mise au point de solutions innovantes et adaptées au marché.
Les entreprises lauréates du programme France 2030, dont beaucoup développent des technologies orientées vers les transitions énergétiques et écologiques, seront prochainement étroitement accompagnées par Business France dans leur démarche d’internationalisation. Je ne doute pas une seconde que plusieurs trouveront en Tunisie des partenaires de confiance pour s’implanter sur le continent africain.
Quel rôle joue la diaspora tunisienne en France dans le renforcement des liens économiques entre les deux pays ?
La diaspora tunisienne en France joue un rôle essentiel dans le renforcement de nos liens. C’est un trait d’union entre nos économies et nos cultures, facilitant le commerce, l’investissement et les échanges académiques. Nous soutenons et nous encourageons les initiatives entrepreneuriales portées par la diaspora tunisienne. Elles sont essentielles au développement économique bilatéral. C’est par exemple le cas de l’entreprise de biotech SELT MARINE, qui transforme des algues en produits à valeur ajoutée, et qui compte des usines en Tunisie comme en France. De nombreux chefs d’entreprises tunisiens connaissent un succès notable en France. Leurs parcours font d’eux non seulement des acteurs influents, mais aussi des facilitateurs et des ambassadeurs essentiels de notre relation économique bilatérale.
Face aux défis économiques mondiaux, quel message souhaitez-vous transmettre aux entreprises françaises et tunisiennes ?
Je dis : allons-y avec confiance, et allons-y. Nul ne parviendra à apporter seul des réponses aux grands défis mondiaux. Les entreprises françaises et tunisiennes ont tout à gagner à renforcer leurs liens. Business France est là pour soutenir ces échanges, faciliter l’accès aux marchés et encourager l’innovation. Nous avons programmé en 2024 plus de 20 événements professionnels pour connecter les entrepreneurs français et tunisiens, en lien avec l’ensemble de nos partenaires : 6 forums en Tunisie, 4 rencontres d’affaires en France et 12 invitations de professionnels tunisiens sur des salons en France. Ces actions collectives sont construites en étroite collaboration avec les associations tunisiennes, les communautés d’entrepreneurs, les écosystèmes d’innovation, les partenaires publics et privés.
Notre ambition est claire : nous voulons accompagner toujours plus d’entreprises françaises à l’international, nous voulons accueillir toujours plus d’entrepreneurs étrangers en France, nous voulons former toujours plus de jeunes à l’international grâce à notre programme de volontariat en entreprise (V.I.E). Nous serons aux côtés des chefs d’entreprises pour accélérer et faire réussir leurs projets, de part et d’autre de la Méditerranée.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Laurent Saint-Martin : Nous avons tant à construire ensemble. La relation entre la Tunisie et la France est solide, la confiance entre nos entreprises est profonde. Appuyons-nous sur ces atouts pour faire encore mieux ! Business France répondra toujours présent aux côtés des entrepreneurs qui s’engagent pour développer encore nos liens.