La mise à disposition d’une ligne de financement de 20 MTND par l’Etat, outre les ressources du Fonds national de l’emploi et de l’engagement de certaines banques dans le financement des entreprises communautaires, marquent les débats en cette période. Le président est convaincu que ce nouveau type de sociétés peut contribuer à passer à un autre modèle de croissance. Ses détracteurs, par contre, mettent en avant la stérilité de ce choix et contestent les pressions exercées sur les banques.
Loin des calculs politiques, il faut analyser ce sujet objectivement, en évaluant l’impact réel de ces nouvelles entreprises sur l’économie et l’approche de ceux qui les soutiennent.
Un cercle bien ficelé
Le modèle de croissance de la Tunisie souffre de plusieurs lacunes, mais il n’est pas totalement obsolète. Il est surtout compatible avec les ressources humaines et financières du pays. Si nous affrontons notre réalité un moment et nous oublions les fausses convictions du type « les Tunisiens sont les plus compétents », « nous avons les meilleures ressources humaines de la région » ou « nous sommes riches », nous constatons que la réalité est bien amère.
La main-d’œuvre tunisienne n’est pas toujours qualifiée. Les éléments qui ont du potentiel quittent le pays, souvent pour des postes qui exigent un niveau de qualification inférieur. Le rythme d’acquisition de nouvelles compétences est quasiment nul chez ceux qui obtiennent un poste stable. Ce qui fait des profils polyvalents une monnaie rare.
Une vraie digitalisation de l’administration est synonyme du renvoi d’au moins la moitié de l’effectif actuel de fonctionnaires. Nous pouvons considérer les salaires de ces derniers comme une partie des subventions fictives que l’Etat supporte.
Pour parvenir à le faire, les autorités ne cessent de tourner la vis fiscale et sociale et les entreprises sont à l’arrêt. Celles qui parviennent à résister doivent s’estimer heureuses. Exporter est le seul moyen d’échapper au handicap de la taille de marché et à l’effritement de la demande locale.
L’opérateur public et le secteur privé comblent leurs déficits respectifs par des crédits, toutes maturités confondues. Les banques en profitent pour augmenter les marges et engranger les bénéfices. L’Etat l’a remarqué et a décidé de prendre sa part de ces superprofits, y compris en les incitant à financer les entreprises communautaires.
Le nouveau modèle de croissance est au stade embryonnaire
Fin 2021, la Tunisie compte près de 830 mille entreprises. Si nous écartons les personnes physiques, nous trouvons plus de 189 mille entités. En même temps, nous avons quelques entreprises communautaires, qui sont aux alentours d’une centaine. Cela signifie que leur impact réel sur la production nationale est encore loin d’être concret. Evoquer un changement du modèle de croissance à ce stade serait une utopie.
Pour impacter, il faut beaucoup d’entreprises qui opèrent dans des secteurs stratégiques et qui touchent le quotidien du Tunisien. Or, la majorité de ces secteurs est verrouillée par des barrières à l’entrée réglementaire et financière. C’est pour cela qu’un secrétaire d’Etat chargé de ce dossier vient d’être nommé. Transformer une idée en une dynamique économique puis en une richesse n’est pas aussi facile qu’on le pense. Les sociétés communautaires vont rencontrer la même rigidité administrative dont souffrent les autres formes d’entreprises. Déjà, la simplification des procédures et la révision des cahiers des charges vont profiter mécaniquement à l’ensemble des opérateurs.
Quant aux aspects financiers, les entreprises communautaires peuvent trouver les moyens pour l’investissement de départ. Néanmoins, elles ont besoin de liquidité pour fonctionner et couvrir leurs BFR. Sans garanties, aucune banque ne peut leur octroyer de ressources, mêmes celles publiques.
Le président a soulevé pas mal de dossiers de corruption au sein des établissements financiers qui sont basés sur l’absence de garanties réelles face aux financements accordés. Il faut donc passer par des lignes qui leur sont dédiées. C’est pourquoi les lois de finances 2023 et 2024 leur ont trouvé quelques relais et l’intention est de leur faire bénéficier d’une partie des recettes de la réconciliation judiciaire en cours.
Rien à perdre, tout à gagner
L’entrée de la BIAT en ligne a quelque peu infléchi la donne. La majorité s’est imaginée une décision interprétée comme un clin d’œil bienveillant du Conseil d’administration de la banque. A notre avis, c’est une analyse très superficielle.
Financer les entreprises communautaires au TMM ne signifie pas que ces dernières vont avoir accès à un puits sans fonds de ressources. Les dossiers présentés seront étudiés et la banque ne va pas jeter son argent par la fenêtre en le mettant dans des affaires perdantes. La BIAT compte consacrer une équipe pour analyser les business plans présentés, accompagner les entrepreneurs et dénicher les meilleures entreprises.
Stratégiquement, c’est extrêmement intelligent. Si ce type d’entreprises va se multiplier, il faut se positionner dès aujourd’hui. Mettre des ressources compétentes sur ces dossiers va se traduire par l’accumulation d’un savoir-faire unique dans le traitement des demandes de ce type de sociétés et de comprendre leur fonctionnement réel. A terme, cela va se transformer en des offres commerciales qui collent avec leurs besoins.
Si la BIAT est la première banque du pays, ce n’est pas le fruit du hasard. C’est qu’elle sait prendre des risques et aller chercher la croissance là où ses concurrents reculent. Si, à titre d’exemple, la banque octroie 20 MTND aux entreprises communautaires, ce montant représentera moins de 0,2 % de son encours de crédits nets fin 2023. C’est un risque minime. Elle n’a rien à perdre, mais tout à gagner.
Par ailleurs, les autres actions décidées comme la restauration du centre culturel Ibn Khaldoun ou la restauration de la piscine du Belvédère entrent dans les actions sociétales qui ont leur propre budget et qui sont un coup de marketing bien réfléchi. Les autres banques doivent fouiller pour trouver des projets similaires.