Dans notre imaginaire collectif, la retraite est le couronnement d’une vie de labeur et le début d’une étape où on pose enfin ses valises pour pouvoir tendre vers une vie paisible qu’on partage avec ses proches et ses petits-enfants. A condition, bien entendu, de jouir d’une pension décente. Est-ce le cas de nos aînés aujourd’hui?
Hélas, à l’automne de leur vie, la plupart des retraités, cette catégorie sociale dont personne ne parle, est confrontée aux affres de la misère et de la précarité, avec une maigre pension. Et ce, dans un contexte marqué par une forte inflation et une baisse notable du pouvoir d’achat.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ainsi, l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) avance que la proportion des retraités parmi la population âgée tunisienne affiche une courbe ascendante. Faisant ainsi passer l’effectif des retraités de 581 920 en 2014 à 1 244 559 en 2024. Ces derniers perçoivent globalement des pensions n’excédant pas 1240 dinars dans le secteur public; alors que dans le secteur privé, elles ne dépassent pas 850 dinars.
Précarité
Attention, ce n’est qu’une moyenne. Puisque, l’Institut national de la consommation (INC) révèle qu’environ 70 % des retraités touchent des pensions qui ne leur garantissent pas un minima de dignité. Ainsi, 39 % des retraités ont un revenu inférieur à 500 dinars; 30 % entre 500 et 1000 dinars; 12,8 % entre 1000 et 1500 dinars. C’est dire que ces pensions dérisoires poussent nombre d’entre eux à chercher à nouveau du travail pour boucler des fins de mois difficiles. D’autant plus qu’avec le taux de chômage des jeunes qui frôle les 41 % au dernier trimestre de l’année écoulée, 35 % des parents à la retraite sont contraints de prendre en charge leurs progénitures. Certains replongent dans le monde du travail par refus de l’oisiveté, la majorité pour pouvoir survivre dans la jungle des temps modernes.
A noter qu’en général, les retraités du secteur public sont mieux lotis que ceux du privé. Car certains employeurs véreux rechignent à déclarer les revenus réels de leurs employés et s’abstiennent par cupidité de payer la cotisation pour la retraite, ainsi que l’assurance maladie.
« Les retraités tunisiens sont en colère et ne comptent plus se taire », c’est ce qu’a déclaré le secrétaire général de la Fédération générale des retraités, Abdelkader Nasri. Il se réfère à la journée de protestation organisée le 14 février devant le Théâtre municipal par les retraités pour crier leur misère et la précarité de leur situation. Surtout pour s’insurger contre l’indifférence de l’Etat à leur égard. Sachant qu’une nouvelle journée de protestation sera organisée le 2 mars prochain.
Mourir à petit feu
S’exprimant mardi 20 février 2024 à l’émission Midi Show animée par Elyes Gharbi sur les ondes de Mosaïque FM, Abdelkader Nasri a également indiqué qu’une grande proportion de ces retraités perçoit des pensions « inférieures au salaire minimum garanti ». Ils vivent donc dans des conditions « très difficiles », puisque leurs « maigres pensions » ne peuvent nullement couvrir toutes leurs dépenses, notamment le logement, les médicaments et la nourriture. « Comment puis-je survivre si aujourd’hui je touche le SMIG et qu’après des années de travail je me retrouve avec une pension de 200 dinars? » Ainsi, s’indigne-t-il!
« Dans les conditions actuelles, les Tunisiens ne peuvent plus vivre avec 200 dinars par mois, voire même avec 500 dinars. Le retraité meurt à petit feu dans son pays […] Pour moi, 1500 dinars représente le salaire minimum que chaque Tunisien devrait percevoir pour pouvoir assurer les besoins vitaux de la vie », a-t-il ajouté.
Alors que faire? Pour le responsable syndical, il convient d’abord, d’augmenter le « salaire minimum garanti » et d’ assurer une « pension minimale garantie », à l’instar du salaire minimum garanti. Ensuite, réviser l’ensemble du système législatif, notamment l’abrogation de la Loi n° 2007-43 du 25 juin 2007, modifiant et complétant les lois régissant les pensions servies au titre des régimes de retraite, d’invalidité et de survivants dans les secteurs public et privé et des régimes spéciaux. Laquelle loi autorise l’imposition d’une contribution sur le retraité.
« Je suis conscient, a reconnu le SG de la Fédération générale des retraités, qu’une éventuelle augmentation des pensions sera coûteuse pour l’État. Mais qui empêche les pouvoirs publics de récupérer les milliards de dinars de dus des caisses sociales auprès des retraités qui n’ont toujours pas été versés? »
Appel de détresse
Enfin, s’adressant directement au président de la République, Kaïs Saïed, le syndicaliste rappelle non sans amertume que « c’est une honte de voir les retraités qui ont bâti ce pays vivre dans la misère et ne pas bénéficier d’une couverture sociale et d’une assurance maladie dignes ».
« Les retraités ont consacré leur vie à la construction de la Nation […] Aujourd’hui, leur situation est désastreuse et ils ont besoin de votre intervention pour l’augmentation du salaire minimum garanti […] Vous êtes aujourd’hui responsable d’eux ». Et d’ajouter : « Nous sommes prêts à élaborer un programme complet de réformes […] et nous espérons trouver des oreilles attentives à nos doléances ».
A bon entendeur.