Contesté de partout, le très controversé décret-loi n° 2022-54, notamment son article 24, ne cesse de susciter remous et polémique. A tel point que même certains élus de la Nation qui se revendiquent du « processus du 25-Juillet » appellent à son amendement.
Eclairage.
L’épée de Damoclès, suspendue au dessus de la tête des hommes politiques, des médias, ou même de citoyens lambda s’exprimant sur la Toile, sera-t-elle bientôt jetée aux oubliettes de l’histoire ? Une initiative législative sur l’amendement du décret-loi n° 2022-54 – qui bénéficie de l’appui de 40 élus représentant de cinq blocs parlementaires et des députés hors groupe – a été déposée mardi dernier au bureau d’ordre de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) afin d’être adressée aux Commissions concernées pour examen. C’est la bonne nouvelle rapportée mercredi 21 février 2024 par le député Yassine Mami dans une déclaration à l’agence TAP.
« Les discussions des initiatives législatives, a-t-il tenu à préciser, sont soumises à un ordre de priorité ; la priorité demeure aux projets de lois provenant de la présidence de la République et du gouvernement, et ce conformément au règlement intérieur de l’Assemblée ».
Mais pourquoi le texte de ce décret-loi suscite autant l’inquiétude des organisations de défense de la liberté de la presse qui y voient « un texte liberticide » ?
Ambiguïté préméditée ?
Faut-il rappeler que l’Art. 24 stipule qu’« Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de cinquante mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population ».
Le hic c’est que la définition même de la « rumeur » ou de la « fausse nouvelle » n’est pas précise, alors que les sanctions, somme toute démesurées, sont bien énoncées. Selon Reporters Sans Frontières, cette amphibologie « laisse une latitude d’interprétation absolue aux services de sécurité et au parquet permettant ainsi de criminaliser le travail d’information et de remettre en cause le droit à la protection de sources et nombre d’engagements internationaux de l’État tunisien ».
Abus
Selon le député Yassine Mami, membre du Bloc national souverain et président de la Commission parlementaire du tourisme, des services et de l’artisanat, des députés ont constaté une utilisation « abusive » du décret-loi 54. « Il y a une atteinte à la liberté de la presse et à la liberté d’expression et à certains acquis de la transition démocratique. D’où la nécessité de présenter cette initiative législative pour amender plusieurs articles du décret-loi qui «limitent la liberté d’expression des journalistes dans leurs articles et des penseurs pour leurs publications ».
Même si l’esprit du décret-loi 54 était en soi « positif » car il vise à mettre fin au « chaos » dans les réseaux sociaux, a-t-il reconnu, il n’en demeure pas moins qu’il y a une certaine « légèreté » dans le renvoi de plusieurs affaires en vertu de ce texte.
L’article 24 épinglé
Le député a, d’autre part, expliqué que cette initiative législative intervient après l’adhésion de la Tunisie – au cours de la première séance plénière à l’ARP tenue le 6 février 2024 par 115 voix pour, neuf contre et douze abstentions – à la convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité adoptée à Budapest le 23 novembre 2001.
Sachant que le Conseil de l’Europe avait contesté deux articles du décret 54 : l’article 6 relatif au « stockage des données durant deux ans », ainsi que l’Article 24 en rapport avec « la propagation des fausses informations et la diffamation », considéré comme étant un article « portant atteinte aux libertés ». Toutefois, a-t-il expliqué, le gouvernement avait rétorqué que l’article 24 ne menaçait en rien la liberté de presse, le statut des journalistes étant régis par le décret 115.
Notons que les propos tenus par l’élu du Bloc national souverain ont été corroborés par son collègue à l’Assemblée des représentants du peuple, le député de la Ligne nationale souveraine, Mohamed El Ali.
Celui-ci a soutenu, jeudi 22 février 2024 sur les ondes de Mosaïque FM, que le décret-loi 54 relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication a été promulgué dans des conditions « exceptionnelles » et qu’il est temps qu’il soit « amendé ». Notamment, assurait-il, l’article 24 « qui n’est pas conforme à la convention de Budapest sur la cybercriminalité, ratifiée par la Tunisie ». D’autant plus que l’arsenal juridique tunisien en matière de lutte contre la cybercriminalité et de réglementation de la liberté d’expression « est déjà suffisamment fourni ».
Au final, le fait que cette initiative législative soit portée par une quarantaine de députés représentant des blocs parlementaires proches du régime ne laisse-t-elle présager que l’amendement du décret-loi n° 2022-54 sera pour bientôt ? Un premier pas positif vers l’apaisement des esprits en cette année qui sera marquée par des échéances électorales cruciales pour notre pays ?