Si un mouvement incarne parfaitement l’anticonformisme et les marges de la société, c’est bien celui des ULTRAS. Le dernier documentaire de la réalisatrice Ines Ben Othmane, « Mouvma des poètes pas comme les autres », présenté en avant-première le 21 février 2024 à la salle Ciné350 à la Cité de la culture à Tunis, plonge au cœur de cette réalité.
Il rend un hommage poignant à cette frange que le système a constamment opprimée et ciblée bien avant les bouleversements de 2011. Ce documentaire aborde ces groupes sous un angle inédit : loin de la vision de violence, de fanatisme et de chaos que leur attribue le système, il les présente plutôt comme des artisans de la beauté, des créateurs de paroles et de chants originaux. Leurs chants dépassent le simple soutien à leur équipe de football pour exprimer des émotions et des revendications plus profondes. Ce documentaire avait d’ailleurs été sélectionné pour la compétition officielle des longs-métrages documentaires des Journées cinématographiques de Carthage (JCC) 2023 avant que l’événement ne soit annulé. Ines Ben Othmane a une affinité particulière avec le monde du football : ses parents sont des professeurs de sport, elle-même est une fervente supportrice de son équipe, le Club Africain, et a toujours été proche des groupes ultras, ce qui lui a permis de tourner avec plusieurs membres.
Derrière les images souvent diffusées par les médias sur les affrontements violents entre ultras et forces de l’ordre, se cache une volonté de défier un système perçu comme injuste, ainsi que le désir de ces individus incompris de faire entendre leur voix et leur mécontentement face à la réalité socio-économique. À travers les villes de Tunis, Sfax, Gabès, Sousse et Bizerte, la réalisatrice a pris le soin de filmer plusieurs membres des ultras. Des poètes ? Assurément ! Ces « poètes pas comme les autres », comme les qualifie le titre du film, mettent leur plume au service des chants de leurs équipes favorites.
Mais au-delà de l’hommage sportif, il s’agit également d’une dénonciation des injustices, des précarités et des violences policières qui marquent la société. La réalisatrice souligne que l’écoute attentive des paroles des chants des ULTRAS révèle un cri de révolte contre l’ordre établi et le conformisme. Il convient de noter que travailler avec les membres des ULTRAS n’a pas été facile au départ. La réalisatrice a dû surmonter leur méfiance envers les caméras et les médias. Grâce à son expérience préalable dans cet environnement, Ines Ben Othmane a su les convaincre, bien que certains ultras aient initialement résisté. Ainsi, elle explore l’aspect poétique de cette frange sociale souvent ignorée, donnant une voix à une communauté considérée uniquement comme une cible des forces de l’ordre lors des matchs. Le documentaire n’a pas bénéficié de subventions du ministère des Affaires culturelles. Son financement a été rendu possible grâce au soutien de la radio IFM et d’Ulysson.