Alors que les Etats arabes demeurent inaudibles et impuissants dans la guerre qui opposent Israël aux Palestiniens, les voix les plus fortes ne sont ni arabes, ni musulmanes. Après la requête de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice qui accuse Israël de génocide, c’est le président du Brésil, Lula, qui vient de déclarer : « Ce qui se passe dans la bande de Gaza n’est pas une guerre, c’est un génocide ». Une déclaration qui intervient alors que le Brésil assure la présidence tournante du G20 et que le pays s’impose comme une grande voix du Sud global.
Grande puissance (politique, militaire, économique, démographique, territoriale et culturelle) du continent, le Brésil a l’opportunité d’exercer un leadership tendant à incarner, à la fois, la stratégie du non-alignement et une voix internationale audible sur les enjeux globaux comme le réchauffement climatique (l’Amérique du Sud risque d’être l’un des espaces les plus durement touchés par les incidences de ce phénomène).
Le Brésil première puissance d’Amérique du Sud
Un leadership qui repose sur sa taille (pays le plus grand d’Amérique du Sud), sur son poids démographique (pays le plus peuplé de la région, avec près de 200 millions d’habitants) et sur d’autres vecteurs traditionnels du hard power. En effet, le Brésil dispose de la première armée du continent (au service de sa souveraineté géopolitique, de sa sécurité et de la sauvegarde de ses richesses naturelles et matières premières) et représente la principale économie sud-américaine, une économie fortement intégrée dans la mondialisation.
Fort de ressources naturelles d’une exceptionnelle richesse (en minerais, notamment), le Brésil est l’une des principales puissances industrielles (avec des secteurs importants dans les domaines de l’énergie, de la sidérurgie, de l’aéronautique) et agricoles du monde, avec une industrie agroalimentaire de premier ordre.
Le président Lula : une grande voix du Sud
L’influence internationale du Brésil a pris une dimension nouvelle au début des années 2000, avec l’arrivée de Lula à la présidence de la République (deux mandats, en 2002 et 2006). Celui-ci a dynamisé les relations Sud-Nord et Sud-Sud, grâce à sa politique volontariste au niveau à la fois de l’intégration régionale et du multilatéralisme international. Il ne remet pas en cause les valeurs de l’ordre international libéral (paix et libre-échange), mais souligne la crise du modèle économique néolibéral et exige la réforme de la gouvernance mondiale.
Un discours qui trouve un écho et des relais dans les sociétés civiles et dans le mouvement dit « alter-mondialiste » (symbolisé par le Forum social mondial à Porto Alegre). Une stratégie qui a permis au pays d’intégrer le géant sud-américain dans le jeu mondial, à le hisser sur la scène internationale. Une fonction assumée en particulier sur le plan diplomatique au sein du G20, des BRICS.
L’influence du président Lula s’est nourrie en particulier des vecteurs de soft power : le pays (bien que profondément inégalitaire et marqué par un racisme structurel) se présente comme un modèle de société pluriethnique, fort d’une biodiversité exceptionnelle symbolisée par le « bien commun de l’humanité » que représente la forêt amazonienne. Enjeux globaux, les questions de l’environnement et du réchauffement climatique renforcent la voix du Brésil sur la scène internationale (voir déjà la Déclaration de Rio de 1992).
L’autoritarisme et la xénophobie de la présidence Bolsonaro (2019-2022) ont isolé le Brésil (mis à part l’axe « illibéral » formé alors avec D. Trump et B. Netanyahou) et neutralisé sa capacité à incarner le rôle de global player qu’il s’était arrogé.
Revenu au pouvoir en 2022, Lula renoue avec la volonté de non-alignement sur Washington et une fonction de porte-parole du Sud global, sur la base d’une politique étrangère au service d’un système multilatéral plus égalitaire. Un rôle qui est de nature à ériger cette puissance régionale en acteur pivot du monde multipolaire…