Justice sociale, assainissement de la vie publique, récupération des richesses indûment acquises pour les réinjecter dans le circuit économique au sein des régions situées « derrière les plaques », restitution des biens et avoirs spoliés à l’étranger. Le président de la République Kaïs Saïed veut passer à la vitesse supérieure : les contrevenants renâclant à se soumettre au dispositif de la Conciliation nationale sont avertis. Soit ils s’engagent volontairement dans ce mécanisme, soit « ils assument leur responsabilité devant la justice ».
Ainsi, lors d’une réunion qui se tenait hier, lundi 26 février 20234 au palais du gouvernement à la Kasbah, en présence du chef du gouvernement Ahmed Hachani, Leila Jaffel et Sihem Nemsia respectivement ministres de la Justice et des Finances, le chef de l’Etat n’aura pas mâché ses mots. En effet, il s’est montré intraitable : « Celui qui a l’intention de restituer intégralement les biens du peuple trouvera les portes de la conciliation grandes ouvertes. Mais tous ceux qui choisissent une solution autre que cette voie devront assumer leur responsabilité devant la justice. »
Fermeté
Dans la pratique, le locataire du palais de Carthage a également souligné « la nécessité de finaliser la constitution de la commission de conciliation pénale. Afin que les biens du peuple lui soient restitués, de l’intérieur mais aussi de l’extérieur du pays ». Invitant ainsi les personnes qui y seront nommées « à assumer leurs responsabilités dans l’audit des dossiers avant qu’ils soient soumis au Conseil de sécurité qui statuera sur le montant de la conciliation, conformément à la loi régissant cette commission ».
Il faut rappeler à cet égard que les députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont voté, mercredi 17 janvier 2024, la loi portant modification du décret-loi n°13 du 20 mars 2022 relatif à la conciliation pénale. Ainsi, son article premier précise qu’il s’agit « de crimes économiques et financiers et des actes et des opérations commises qui engendrent des enrichissements sans cause ou ayant causé des dommages financiers à l’Etat, aux collectivités locales, aux entreprises publiques et aux établissements ou instances publics ».
Cette nouvelle loi a été adoptée à une majorité écrasante (123 voix pour, aucune voix contre et trois abstentions) et publiée rapido-presto jeudi 18 janvier 2024, au JORT, dans une édition spéciale. Preuve de l’importance que Carthage accorde à cette loi.
Version amendée
Mais quelles sont les nouveautés dont dispose cette loi dans sa version amendée? D’abord, le rattachement de la Commission de conciliation à l’institution de la présidence de la République dont les membres sont désignés par décret présidentiel.
En effet, la Commission soumet les amendements proposés au président de la République qui les soumettra à son tour au Conseil de sécurité pour examen. Celui-ci aura la prérogative « d’approuver ou de rejeter le projet de conciliation ou encore réviser à la hausse les montants demandés (article 26) ».
Après examen des dossiers, la Commission proposera au concerné trois formules : soit le règlement de l’ensemble du montant en une seule fois; soit le versement de 50 % des dus dans l’immédiat et le reste dans les trois mois; ou encore le versement de 50 % des dus avec un engagement sur l’exécution d’un ou plusieurs projets dont la valeur équivaut au reste à payer.
A noter que, expurgée de tout pouvoir décisionnel, la mission de la Commission consiste à documenter, traiter, préparer les dossiers, mener les négociations avec les personnes concernées et transmettre le dossier au Conseil national de sécurité (CNS) avec des propositions pécuniaires.
Composé du président du Parlement, du chef du gouvernement, des ministres de l’Intérieur, des Finances, de la Justice, des Affaires étrangères, de la Défense et du chef du Centre national du renseignement, le Conseil national de sécurité dispose désormais du pouvoir décisionnel. Ainsi, il peut refuser les propositions financières soumises par la commission, les accepter ou les revoir, « mais uniquement à la hausse ».
Enfin, selon le nouvel article 35, la réconciliation pénale entraîne la suspension des poursuites, des sanctions ou des peines prononcées ainsi que la libération des concernés s’il était en détention.
Punition collective pour les réfractaires à la conciliation?
Mais quid des personnes récalcitrantes au mécanisme de la Conciliation pénale. Laquelle est perçue par certains comme une forme de « diabolisation » des hommes d’affaires et des chefs d’entreprise en général et pas seulement avec les entrepreneurs pas toujours en odeur de sainteté avec la légalité?
La sanction est terrible. Selon l’avocat Ahmed Souab « les concernés n’auront que le choix entre la prison et le paiement d’une rançon. Un demandeur qui se soustrait à l’exécution de l’accord et qui serait en fuite à l’étranger s’expose à une confiscation de ses biens, de ceux de son épouse, de ceux de ses ascendants et descendants », avertit-il.
Ainsi, l’ancien président du Tribunal administratif déplore dans une interview accordée à nos confrères de Jeune Afrique « une punition collective, injustifiée socialement et juridiquement ».
Et de conclure : « Cette injustice va impacter profondément la société en créant des drames familiaux ». Pourtant, rappelle-t-il, « un principe coranique qui fait jurisprudence assure que personne ne peut-être poursuivi pour ce qu’il n’a pas commis ». Logique.