Elle est connue de tous, ou presque, pour sa bravoure et sa créativité. Elle a réussi à transformer nos vêtements traditionnels en mode de “dernier cri“. Elle, c’est Myriam Bribri, cette fille qui a osé travailler dans un milieu masculin avant de devenir une “modeuse“ qui n’a rien envier à Ralph Lauren! Parlez-nous de votre parcours.
Mariem Bribri : Je suis à la base une juriste. J’ai étudié à la Faculté de droit de Sfax où j’ai obtenu ma licence. Puis, j’ai ouvert en 2013 une boutique à la Médina.
Mais je travaille depuis 2011 dans le journalisme citoyen, en couvrant notamment les mouvements sociaux. J’ai travaillé à la radio en 2016-2017 où j’ai fait des chroniques juridiques et politiques. A noter que j’ai commencé à travailler au souk depuis mes 16 ans.
En 2015, l’ai lancé Bribri. Et en 2019, j’ai décidé de m’y consacrer totalement. Même si, de temps en temps, il m’arrive d’écrire des articles journalistiques lorsque j’en ai envie et que j’en ai le temps. Ces articles portent parfois sur des sujets se rapportant à l’influence du capitalisme sur le patrimoine et sur l’être humain en lui-même. Je travaille également pour inhiyez.
Vous avez travaillé à Souk-el Khorda, un espace exclusivement masculin. N’y avait-il pas d’espace où les femmes étaient présentes?
Le souk du centre-ville était effectivement un espace masculin. Il y avait quelques femmes dont ma mère qui y travaillait avec mon père. Cet endroit a fermé et le souk n’est plus au centre-ville. Il n’y avait au début que moi, puis m’ont rejointe deux autres femmes. Si on ne nous harcelait pas sexuellement, on nous méprisait, nous donnant l’impression d’être des filles aux mœurs légères. D’ailleurs, on m’a déjà traitée de “femme de mauvaise vie“.
Si une fille travaille là-bas, c’est qu’elle a forcément raté ses études. Or, je suis un exemple contraire à cette vision des choses, puisque j’ai une licence en droit.
Lorsqu’on me croisait au centre-ville ou lors d’une couverture médiatique (j’étais journaliste à l’époque), on me disait : « J’ai croisé ta sœur ». Je devais leur expliquer qu’il s’agissait de moi.
Il y avait aussi à l’époque certaines milices qui travaillent pour d’autres camps. Elles tentaient de confisquer de l’argent en prétextant qu’il s’agissait de taxe. Cela était faux puisqu’il s’agissait d’un marché « marginalisé » créé par ceux qui ont été renvoyés du souk, comme mon père.
J’ai dû, une fois, utiliser une barre de fer pour me protéger d’un homme qui voulait m’attaquer. J’allais au souk à 3 heures du matin. Je ne pouvais plus aller à la fac le lundi. J’étais très jeune durant cette période, un détail qui a aggravé ma vulnérabilité.
Alors comment est née la marque Bribri?
Bribri est une brand tunisienne, créée le 19 octobre 2015. On a commencé dès le début à proposer divers produits. On ne le fait jamais sans effectuer des recherches. Nous nous inspirons du patrimoine amazigho-africain jusqu’aux Touaregs, qu’il s’agisse de tatouages ou de tapis.
Pourquoi avoir nommé votre brand Bribri?
Cela est lié à plusieurs détails. J’ai été interviewée par une journaliste sur Bribri et a nommé l’article « Bribri », une marque de résistance.
Justement, vous qualifiez Bribri de « marque tunisienne de résistance ». Qu’est-ce que cela veut dire concrètement?
Les produits fabriqués en Chine et en Turquie ont envahi nos marchés. Les marques internationales ne nous ressemblent pas et portent surtout atteinte à la santé de leurs employés et ne leur donnaient pas leurs droits. Je me bats également pour protéger notre identité, celle des autochtones, les Amazighes. Protéger l’histoire d’un pays, c’est contribuer à renforcer son intégrité.
Je veux lutter contre toute forme de colonisation et de mondialisation et je ne suis pas la seule. Je considère que tous les artisans du monde sont en train de le faire. En particulier ceux qui proposent des produits rendant hommage aux autochtones. Les colonisateurs ont effacé l’identité d’une grande partie de l’Afrique…
J’ai toujours eu un problème avec la manière de s’habiller des Tunisiens qui ne nous ressemble pas. Il y a, également, une rupture entre la campagne et la ville. Les vêtements des campagnards ont toujours été un sujet de moqueries pour les citadins. Cela est dû aux tentatives de ressembler aux Occidentaux et à l’urbanisation (qui s’est mal déroulée) surtout à partir de la fin des années 80. Cela a fait que les vêtements populaires sont devenus une sorte de raillerie.
Vous êtes surtout connue pour votre fameuse Kachabiya. Comment avez-vous eu l’idée de fabriquer cet habit presque oublié?
Al Kachabiya est l’habit des bergers et celui des agriculteurs, mais également celui des résistants. Certains le fabriquaient pour faire vivre leurs enfants et leur donner accès à l’éducation. J’ai choisi ce vêtement parce qu’il est démodé et est lié aux campagnards.
Al Kachabiya fait partie de nos traditions. Il n’y a pas de raison pour que ce ne soit porté que le 16 mars, « Journée de l’habit traditionnel », pour pouvoir affirmer qu’on le porte. Pourquoi ne pas porter Al Kachabiya quotidiennement au lieu des manteaux des marques internationales?
J’ai aussi voulu rendre hommage aux travailleurs et travailleuses tunisiens oubliés. Le départ était lié à un tissu coloré appartenant à mon père. J’ai insisté pour en faire une Kachabiya et ça a marché.
Vous proposez des accessoires et des habits traditionnels (à part la Kachabiya). Pourriez-vous nous en dire un peu plus?
Je produis des manteaux, chemises, tuniques, robes, pantalons et même des vêtements habillés. Il m’arrive de fabriquer des accessoires, cache-col, sacs, sacs à dos et quelques fois des bijoux.
Quels sont vos futurs projets et/ou produits?
Je souhaite fabriquer des bijoux en utilisant le principe du recyclage, du textile, des plantes et des pailles, etc. Je n’ai pas d’autres projets concernant Bribri tel qu’il est. J’aimerais agrandir le projet culturel lié à ma boutique, en incluant des projections, des films, des débats et de la musique. Je veux que la boutique soit un espace accueillant dédié au partage et à tout ce qui est alternatif. Mon objectif est de former les jeunes dans le domaine de l’économie récupératrice ou circulaire, du design à la main, du tissage et de la teinture naturelle.
Je fais également partie d’un autre projet indépendant appelé chaabya, qui est un collectif de jeunes travaillant sur la valorisation du patrimoine musical et des mouvements de libération. Nous mettrons en avant ces éléments à travers des habits, des sacs, des petits carnets, en suivant le principe de l’économie circulaire. Nous utilisons des matériaux tels que le bois, le textile et le plexiglas.
Notre objectif est de proposer de nouveaux produits qui expriment un engagement envers une cause.