Un secrétaire général-adjoint de l’UGTT placé en garde à vue, une première, puis relaxé au bout de 24h. S’agit-il d’un signal d’apaisement adressé par le pouvoir en place à la centrale syndicale à la veille du rassemblement ouvrier prévu pour ce samedi à 10h00 ?
La puissante centrale syndicale – la citadelle ouvrière récompensée en 2015 par le prix Nobel, qui se targue de compter plus d’un million d’adhérents dans ses rangs et qui constate non sans amertume que depuis l’avènement du 25 Juillet sa marge de manœuvre en tant que contre-pouvoir se réduit comme peau de chagrin – est-elle visée par le pouvoir ?
UGTT : « une affaire fabriquée »
C’est du moins le sentiment qui prévaut à la place Mohamed-Ali où le bureau exécutif national de l’UGTT s’est réuni jeudi soir d’urgence sous la présidence du secrétaire général, Noureddine Taboubi, pour protester contre le placement en garde à vue de son secrétaire général adjoint, chargé du secteur privé, Tahar Mezzi Al Barbari ; sur fond d’une affaire qu’il qualifie de « fabriquée » sans toutefois préciser les motifs. Cependant, il paraît, selon les rumeurs qui circulent autour du palais de justice à Bab Bnet, que cette affaire aurait un rapport avec son détachement au profit de l’UGTT.
En attendant son audition vendredi 1er mars 2024, par le parquet de Bizerte, le chargé de communication de l’UGTT, Ghassen Ksibi, a publié le jour même un statut, assurant que Taher Mezzi « avait été libéré et qu’il participerait au rassemblement syndical du 2 mars 2024 ». Tout est bien qui finit bien.
Entre-temps, le bureau exécutif a haussé le ton. Dans un communiqué paru jeudi dernier, la centrale ouvrière a estimé que cette arrestation est « purement politique, s’inscrivant dans une série de procès arbitraires ciblant plusieurs syndicalistes » et vise « à déstabiliser et terroriser les syndicalistes », à la veille de leur grand meeting prévu pour ce 2 mars, à la place de La Kasbah.
Tout en exigeant la libération immédiate de son SG-adjoint, le rejet des accusations portées contre lui, et l’abandon de ce dossier « monté de toutes pièces visant à entraver le droit syndical », le bureau exécutif de l’UGTT a appelé à l’occasion sa base syndicale « à répondre à cette provocation » par une « participation massive » au meeting prévu samedi 2 mars.
Pour rappel, le bureau exécutif national de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a déjà lancé, il y a une semaine jour pour jour, un appel à tous les travailleurs et aux structures syndicales pour participer « en nombre » au rassemblement ouvrier prévu le samedi 2 mars 2024 à 10 heures, à la place de La Kasbah à Tunis. Cette mobilisation, qui fait écho à un précédent communiqué du 5 février dernier, vise à exprimer « une protestation contre le blocage persistant du dialogue social, ainsi que les atteintes répétées au droit syndical ».
La centrale syndicale a profité de cet appel pour affirmer ainsi son « engagement ferme à défendre les revendications légitimes des travailleurs ». D’ailleurs, afin de souligner l’importance de cette mobilisation, Noureddine Taboubi prendra la parole lors de ce rassemblement.
Test grandeur nature
Selon les observateurs politiques, le rassemblement d’aujourd’hui devant la place de La Kasbah sera un test grandeur nature de la capacité de l’UGTT à mobiliser ses troupes et à montrer aux uns et aux autres qu’elle reste une pièce maîtresse sur l’échiquier politique en Tunisie.
« Le mouvement syndical, prévu le samedi 2 mars prochain à la place de La Kasbah, avertit Noureddine Taboubi, vise à revendiquer l’ouverture d’un dialogue social et le respect du droit syndical qui est « une ligne rouge à ne pas franchir », expliquant le choix de la date, un samedi jour de congé, par une volonté « de ne pas donner du grain à moudre à ceux qui accusent le syndicat de paralyser le pays en prenant en otage la liberté de circuler ».
« Nous savons que le pays est en crise économique et on accuse toujours l’UGTT de suspendre la production avec les grèves… C’est pour cette raison que nous avons choisi de protester un jour de congé (samedi) pour revendiquer l’ouverture d’un dialogue social qui est un acquis incontestable et le baromètre du progrès d’une société », a-t-il soutenu en marge des travaux du congrès des comités de la femme et des jeunes travailleurs de la Fédération arabe des travailleurs du pétrole, des mines et de la chimie, qui se tient à Hammamet.
Le temps des soupçons
Cet appel à une mobilisation massive traduit-il un excès de parano de la part des dirigeants de la place Mohamed-Ali qui constatent, désabusés, que depuis l’année écoulés, trois responsables syndicaux ont été traduits devant la justice. En l’occurrence Sanki Assoudi, SG de l’Union régionale de Kasserine ; Youssef Aouadni, SG de l’Union régionale du travail à Sfax ; ou encore Anis Kaabi, SG du syndicat des autoroutes ?
En d’autres termes, l’affaire de Tahar Mezzi Al Barbari a-t-elle un lien direct avec le communiqué publié par la présidence de la République où le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, fustigea pêle-mêle les lobbies, les cercles d’influence colonialistes, les agents sionistes ou encore les traitres à la solde de puissances étrangères ?
En effet, dans un communiqué paru tard dans la nuit du mercredi 28 février, une fois n’est pas coutume, et à l’issue d’une réunion avec Kamel Feki, Mourad Saïdane et Hassine Gharbi, respectivement ministre de l’Intérieur, directeur général de la sûreté nationale et directeur général de la Garde nationale, le maître des lieux évoqua « des sommes d’argent » qui seraient distribuées pour amener les Tunisiens à participer à des manifestations : « Des voitures ont été louées, les itinéraires ont été déterminés et les slogans qui seront brandis ont été mis en place, pourtant ces gens se présentent sous les traits de victimes et, comme à leur habitude, maquillent la vérité de mensonges en falsifiant des faits et en répandant des rumeurs ». Terribles accusations.
Le chef de l’Etat, qui s’est bien gardé d’accuser expressément une partie précise, fait-il allusion à l’équipe dirigeante de l’UGTT qui a appelé à un rassemblement national « massif » ce samedi 2 mars ? A moins qu’il ne soupçonne certains partis de l’opposition de chercher à s’infiltrer dans cette manifestation pour passer des messages hostiles au pouvoir en place ?