Première victime très médiatisée de la controversée loi « asile et immigration », l’imam tunisien, Mahjoub Mahjoubi, 52 ans, ne foulera pas de sitôt le sol français sur lequel vivent sa femme et ses cinq enfants de nationalité française.
« Je me battrai pour retourner en France où je vivais depuis quarante ans ». Ainsi a annoncé vendredi dernier quelques heures après son arrivée à Soliman, Mahjoub Mahjoubi, l’imam de la petite ville de Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, installé en France depuis le milieu des années 80 et interpellé puis expulsé manu militari le jeudi 22 février vers la Tunisie, son pays d’origine.
« Si le tribunal ne me rend pas justice, je ferai appel et ensuite je ferai un recours devant la Cour européenne », a-t-il expliqué à l’Agence France-Presse. Ajoutant qu’ « il n’y a aucun doute qu’il y a une injustice à mon égard. La loi immigration a été votée il y a à peu près trois semaines et je suis la première victime de cette loi ».
Accusations gravissimes contre l’imam
En effet, en dépit de sa demande de référé-liberté pour contester l’arrêté d’expulsion; le tribunal administratif de Paris a validé, hier lundi 4 mars, la décision du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. Pour quels motifs?
Les propos prononcés par l’imam Mahjoubi « ne s’inscrivaient pas dans le cadre des valeurs de la République française, opposaient les musulmans et les non-musulmans, incitaient à la haine envers les juifs et Israël ou faisaient l’apologie du jihad et de la charia ». C’est ce qu’a statué le tribunal administratif dont la mission consiste à trancher dans les litiges qui opposent les particuliers à l’Etat et aux administrations publiques.
Pour sa part, l’avocat de M. Mahjoubi a dénoncé « une violation des droits inouïe » et « une procédure inédite en termes de célérité » contre son client qui « a été privé de pouvoir faire entendre sa cause devant un juge et laisse derrière lui une situation familiale dramatique. Puisqu’il a des enfants mineurs, scolarisés, dont un est atteint d’un cancer assez grave ».
Dans l’urgence
A noter à ce propos que les arrêtés d’expulsion sont généralement pris par le préfet du département où réside l’intéressé. Pourtant cette décision a été prise par le ministre de l’Intérieur en personne. Il invoque « une urgence absolue » et s’est publiquement félicité de cette expulsion rendue possible par la nouvelle loi « asile et immigration ».
Mais comment une personne installée régulièrement en France depuis 35 ans, père de cinq enfants de nationalité française, a-t-elle été expulsée et renvoyée dans son pays d’origine en un temps record, alors qu’auparavant, cette procédure pouvait prendre des années?
En effet, l’article L 631-3 de la nouvelle loi permet d’expulser un étranger en situation régulière, vivant depuis plus de 20 ans en France ou marié à une Française ou père d’un enfant mineur français dans quatre cas : « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État »; « violation délibérée et d’une particulière gravité des principes de la République »; « actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ». Enfin, pour « activités terroristes ».
Drapeaux tricolores « sataniques »
Le prédicateur tunisien remplit-il une de ces cases? En effet, l’arrêté d’expulsion a été signé par le ministre de l’Intérieur après la diffusion sur Tiktok d’une vidéo dans laquelle Mahjoub Mahjoubi s’en prenait aux « drapeaux tricolores qui nous gangrènent » (sans préciser s’il s’agissait du drapeau français NDLR) et qu’il a qualifiés de « sataniques » et n’ayant « aucune valeur aux yeux d’Allah ». Dans une version plus longue, il promettait encore « l’arrivée d’Al-Mahdi qui va « s’autoproclamer » et « faire chuter tous les gouverneurs et les gouvernances ». Bref, le délire habituel du discours salafiste.
En outre, selon la préfecture du Gard, l’imam tunisien- se serait attaqué dans des prêches prononcés les 2, 9 et 16 février derniers au sein de la mosquée Ettaouba de Bagnols-sur-Cèze (Gard)- à l’école publique et aux juifs présentés comme « le mal absolu », annonçant encore « l’élimination de tous les non-musulmans, prévue à la fin des temps ». Ce qui a permis à l’arrêté ministériel signé par Gérald Darmanin d’évoquer « une conception littérale, rétrograde, intolérante et violente de l’islam de nature à encourager des comportements contraires aux valeurs de la République, la discrimination à l’égard des femmes, le repli identitaire, les tensions avec la communauté juive et la radicalisation djihadiste ».
L’arroseur arrosé
Mais au-delà de la nouvelle loi scélérate sur l’asile et l’immigration à laquelle Conseil constitutionnel aura infligé un revers sérieux en jugeant non conforme à la Constitution près de 40 % de son contenu, il serait utile de rappeler qu’au nom de la liberté de culte, l’Occident, notamment la Grande-Bretagne, la France et certains pays scandinaves, a souvent offert refuge et protection à des prédicateurs radicalisés. Mais voilà, aujourd’hui, une fois les loups dans la bergerie, l’on se débarrasse des patates chaudes en s’empressant allégrement de les renvoyer dans leur pays d’origine. Perfide.