Suite à l’incident tragique survenu à Sfax où un élève de six ans perdait un œil en absence de l’institutrice, la Fédération générale de l’Enseignement de base décrète une grève générale pour le 14 mars prochain. Une réaction disproportionnée, pensent certains, visant à faire pression sur la justice qui examinera cette affaire à la même date.
A Sfax, un élève crève l’œil de son camarade en classe. Certes, il s’agit d’un terrible fait divers, bouleversant et tragique; mais une querelle entre des enfants âgés d’à peine 6 ans qui se termine par un incident aussi grave pourrait avoir eu lieu dans n’importe quelle école du monde. Alors, pourquoi cette affaire prend-elle une telle ampleur que le président de la République suive en personne son évolution?
Une affaire explosive
En effet, le ministre de l’Éducation, Mohamed Ali Boughdiri, a déclaré, samedi 9 mars 2024, que son département suivait de près l’incident de l’agression d’un élève par un de ses camarades dans une école de la région de Sfax.
Tout en exprimant en même temps sa solidarité à l’enfant victime et à sa famille, le ministre rappelait que cet incident a conduit à la suspension de l’enseignante et du directeur de l’école, ainsi que des délégués de l’éducation de Sfax 1 et 2. A la première, on reproche sa sortie de la salle pour faire des photocopies. Alors qu’on accuse le directeur de négligence, puisqu’il n’a contacté les parents de la victime qu’une heure après l’incident.
« Je me suis entretenu avec la ministre de la Justice et le chef du gouvernement à ce sujet », souligne le ministre. Ajoutant avoir confiance en la justice et en sa capacité à trouver une solution à cette affaire « qui préserve à la fois la dignité des enseignants et les droits de l’enfant et de sa famille ».
Accusations gravissimes
Rembobinage des faits. Dans son intervention, le 27 février dernier dans l’émission “Ahla Sbeh” au micro de Jihen Miled sur les ondes de Mosaïque FM, la mère de la victime, un garçon de six ans inscrit en première année dans une école située dans la localité de Sakiet Eddaier dans la région de Sfax, déclarait avoir été contactée par le directeur de l’école une heure après l’incident. Démentant ainsi l’administration qui affirmait avoir illico presto appelé la mère de l’élève agressé pour qu’elle récupère son fils. De plus, à ses dires, elle a dû se débrouiller seule pour porter secours à son enfant.
La mère de la victime affirme également que l’incident s’est produit en classe lorsque la maîtresse est sortie faire des photocopies. Et que le directeur voulait minimiser les choses en prétendant que l’agresseur de son fils l’avait frappé avec un stylo. Alors qu’en vérité, sa blessure à l’œil était due à une paire de ciseaux.
« J’ai emmené mon fils toute seule dans une clinique privée. Le médecin m’a fait savoir que la blessure était grave et qu’elle ne pouvait être causée par un simple stylo. Ce n’est que plus tard que les autres parents m’ont révélé que le camarade de mon fils l’avait blessé avec des ciseaux et non un stylo ».
« Suite à une opération chirurgicale qui a duré plusieurs heures, les médecins m’ont hélas informé que mon enfant a définitivement perdu son œil », a déclaré la mère de l’enfant agressé, en pleurs.
Après cet événement tragique, l’institutrice et le directeur de l’école avaient été placés en garde à vue depuis le 1er mars 2024. Et ce, avant que la chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Sfax 1 ne décide, lundi 11 mars en cours, de les maintenir en liberté jusqu’à leur nouvelle comparution devant elle, jeudi prochain, pour examiner les charges retenues contre eux.
Solidarité syndicale
Entre temps, en signe de solidarité avec leurs collègues, contestant les faits et arguant à travers un communiqué, que le personnel éducatif « s’est parfaitement conformé aux procédures en la matière » et exigeant leur liberté, la Fédération générale de l’Enseignement de base conteste. Ainsi, elle décrétait une grève générale en présentiel le 14 mars dans toutes les écoles primaires de la Tunisie.
De plus, dans cette douloureuse affaire, la structure syndicale fait porter le chapeau aux autorités de tutelle. En « tenant compte des manquements au niveau de l’école, notamment, en termes de moyens et de ressources humaines ».
Toujours selon le même communiqué, la Fédération de l’enseignement de base de Sfax affirme que « la collègue institutrice avait quitté la classe pour un besoin urgent, car elle souffre d’une maladie. Mais elle a préféré poursuivre son travail afin d’assurer les cours à la veille des examens et cet incident aurait pu se produire même en sa présence ». Donc, l’institutrice n’est pas sortie pour faire des photocopies? Quant au directeur, poursuit la même source, « il a veillé à appliquer toutes les procédures nécessaires après ce malheureux drame ». Même en mettant une heure entière à appeler les parents de la victime?
« L’arrestation de l’instructrice et du directeur de l’école était injuste et injustifiée », estime le membre de la Fédération de l’enseignement de base, Mongi Maalaoui, sur Express FM. Et pour justifier l’absence de l’institutrice lors de l’accident, il déplore que « l’enseignant ne trouve personne pour le remplacer quand il a besoin de quitter la salle de classe ».
Pour une justice sereine
Au final, et en admettant que la structure syndicale ait le droit et le devoir de défendre ses adhérents, le recours à la grève générale même en présentiel dans toutes les écoles primaires de la République n’est-il pas une réaction disproportionnée destinée à peser sur le cours de la Justice? Alors qu’il aurait été plus judicieux de laisser cette institution souveraine dire le droit. Et ce pour préserver à la fois la dignité des enseignants et les droits de l’élève. Loin de l’émotion et dans la sérénité.