Si le mot « génocide » est particulièrement chargé sur le plan historique et symbolique, de plus en plus de juristes et experts internationaux l’utilisent pour qualifier la situation à Gaza. Il est vrai que le bilan macabre et les images qui nous parviennent tendent en ce sens. Reste que la notion de « génocide » est souvent saisie par des considérations morales et politiques, qu’il faut confronter à la définition juridique dont elle fait l’objet.
L’exceptionnelle gravité de certains crimes est à l’origine d’un mot dont l’origine remonte à la fin de la Seconde guerre mondiale, dans le contexte de l’extermination systématique des Juifs par les nazis. Au sortir du conflit, l’Assemblée générale des Nations unies a ainsi adopté la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » (9 décembre 1948). Celle-ci définit ce crime comme : « Tout acte commis [en temps de guerre, mais aussi de paix] dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel » (article 2).
Qu’est-ce qu’un génocide?
Cette définition étroite repose sur deux éléments principaux : un élément matériel (qui correspond à cinq types d’actes criminels) et un élément psychologique, à savoir « l’intentionnalité » des auteurs du crime (le génocide doit procéder d’une volonté délibérée, planifiée). La définition du génocide par la Convention de 1948 est reprise par l’article 6 du « Statut de Rome » (traité signé en 1998 et entré en vigueur en 2002) qui a institué la « Cour pénale internationale » (CPI).
Un génocide à Gaza?
Au regard de sa définition juridique internationale, seuls trois génocides ont été reconnus officiellement par l’ONU : le génocide arménien commis par l’Empire ottoman (en 1915-1916); le génocide des Juifs et des Tsiganes commis par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale; ainsi que le génocide des Tutsis au Rwanda (en 1994). Plus récemment, l’ordonnance de la Cour internationale de justice, du 26 janvier 2024, reconnaît le caractère potentiellement génocidaire de certains des actes de l’armée israélienne à Gaza (dans le cadre de l’offensive militaire déclenchée suite à l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023).
Dans son ordonnance, la Cour reconnaît également l’intention possiblement génocidaire de certains hauts responsables politiques et militaires israéliens. C’est-à-dire leur volonté de détruire « en tout ou en partie », le groupe national, ethnique et racial que constituent les Palestiniens de Gaza.
Il est vrai qu’une série de déclarations d’officiels israéliens traduisent une déshumanisation des Palestiniens. Le 19 novembre 2023, point d’orgue d’une fuite en avant en termes de déclarations, l’ancien général et dirigeant du Conseil de Sécurité National israélien, Giora Eiland, a publié une tribune dans laquelle il appelle à massacrer davantage les civils à Gaza pour faciliter la victoire d’Israël. Avant cela et suite à l’attaque du 7 octobre, le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, avait déclaré : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas d’eau, pas de gaz, tout est fermé […] Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ».
Dans une logique similaire, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a opposé « le peuple des lumières » à celui « des ténèbres ». Une dichotomie bien connue dans la rhétorique génocidaire. Récemment, le ministre israélien du patrimoine a déclaré : « Le nord de Gaza est plus beau que jamais. Nous bombardons et aplatissons tout [….] au lendemain de la guerre, nous devrions donner des terres de Gaza aux soldats et aux expulsés de Gush Katif ». Enfin, en direct à la radio, le même Amichay Eliyahu a déclaré qu’il n’était pas entièrement satisfait de l’ampleur des représailles israéliennes et que le largage d’une bombe nucléaire « sur toute la bande de Gaza, la raser et tuer tout le monde » était « une option ».
De fait, même au regard de ses propres alliés américains et européens, le gouvernement Netanyahou a cédé à un esprit de vengeance qui se départit des règles de base du droit international humanitaire. La réaction militaire israélienne va bien au-delà d’une quelconque « légitime défense ». Elle s’inscrit dans une logique de déshumanisation des Palestiniens qui est à la base même de toute entreprise coloniale…