Fitch Ratings a publié, en l’espace d’une semaine, deux rapports sur la Tunisie. A première vue, l’agence de notation n’a rien apporté de nouveau. En réalité, ces rapports sont plutôt destinés aux marchés étrangers qui ne comprennent pas ce qui se passe chez nous.
Ce qui compte, pour nous, ce sont les signes que donnent de rapport et les implications sur l’évolution de la notation souveraine du pays (CCC- actuellement), qui sera actualisée le vendredi 7 juin 2024.
Les banques tiennent bon
Si nous revenons au dernier rapport de notation, nous constatons que parmi les facteurs qui pourront avoir un impact négatif sur le rating souverain, il y a la non conclusion d’un accord avec le FMI. Cela mettra de la pression sur un système bancaire en manque de liquidité.
Paradoxalement, la situation s’est inversée. Bien qu’aucun prêt ne soit programmé dans le plan de financement de 2024 et que le secteur financier local demeure très sollicité, les banques ont toujours de la marge pour financer l’Etat. Toutefois, il faut bien comprendre que c’est l’absence de la croissance et l’inflation qui a créé cette fenêtre.
La hausse des prix, un fléau pour l’économie, a permis d’augmenter l’épargne des ménages. En même temps, la morosité de la demande a réduit le volume des financements, ralentissant la croissance et offrant une bouffée d’oxygène aux établissements de crédits. Ces derniers peuvent donc transformer ces ressources en dettes souveraines fortement rémunérées. En quelque sorte, le malheur microéconomique fait le bonheur instantané des grands équilibres budgétaires.
Certes, il y aura une aggravation du risque des banques, davantage exposées au souverain. L’exposition directe et indirecte des banques tunisiennes aux dettes publiques est de l’ordre de 30 milliards de dinars, soit 21 % des actifs du secteur et 1,9x les fonds propres réglementaires. Il y a eu une légère amélioration en 2023, mais les chiffres demeurent élevés.
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Le fait que l’Etat parvient à rembourser le grand lot de sa dette externe dès le début de l’année est un succès que Fitch ne peut pas ignorer. Politiquement, elle ne peut pas se permettre de dégrader la notation de la Tunisie. Autrement, elle risque de perdre sa crédibilité et sera considérée comme un instrument de pression politique.
Les réserves de change, clé de stabilité
En même temps, nous pensons qu’elle ne va pas l’améliorer, du moins cette année. L’ampleur des besoins de financement budgétaire, de l’ordre de 16 % du PIB par an en 2024-2025, est parmi les plus élevés du groupe des nations notées « CCC+ » ou moins.
De plus, les problèmes de mobilisation de ressources externes persistent. Au-delà des estimations de Fitch que le pays aura un gap de 2,5 milliards de dollars par rapport à ses besoins; la loi de finances 2024 a déjà mentionné qu’il y a 3,2 milliards de dollars à chercher au cours de l’exercice.
La possibilité d’une amélioration de la notation ne pourra intervenir qu’après le remboursement des Eurobonds de janvier 2025, qui sont de 1 milliard de dollars. Le rapport n’évoque pas la possibilité d’un défaut de paiement, puisque les réserves de change bénéficient de fortes recettes touristiques, des transferts récurrents des TRE et des conditions de prix favorables pour les exportations d’huile d’olive. L’agence va suivre minutieusement ces réserves qui vont, selon ses estimations, se détériorer face à ces successions d’échéances de dettes.
A noter enfin que le rapport écarte un éventuel accord avec le FMI avant l’élection présidentielle de cette année. En d’autres termes, elle pense qu’après les élections, la porte sera rouverte pour un rapprochement avec l’institution financière internationale. C’est comme si la position rigide actuelle du président était une carte électorale. Sur ce point, nous pensons que l’analyse de l’agence est totalement erronée. Kaïs Saïed n’a guère l’intention de s’endetter auprès du FMI. Car, pour lui, la capacité du pays à s’en passer est une conviction et un pilier de la souveraineté nationale. Dans les modèles de Fitch, l’absence du FMI des programmes de financement va se transformer d’une hypothèse à une constante.