Nous y voilà. Le mois saint de Ramadan est là. Une occasion de retrouver nos racines pieuses. Un retour à nos sources quelque peu salutaire, mais à ne pas confondre avec un retour en arrière. L’exemple le plus criant dans le genre retour de manivelle est ce recours régulier à des télescopes à la recherche du croissant de lune à la veille du début de chaque mois de Ramadan. Les faits relèveraient de l’anecdote si tous les appareils de l’Etat n’étaient pas mis à contribution pour mettre en haleine le commun des Tunisiens, chacun dans sa région respective, accrochés à « l’observation » d’un signe du ciel.
On remarquera que, pour le caractère croustillant de l’histoire, on tient un calendrier lunaire largement à l’avance, mais personne ne s’en soucie vraiment. Il n’y a que pour le mois de Ramadan que le phénomène donne lieu à un spectacle. Des scènes à la Hitchcock, surtout lorsque la météo fait des siennes et que les brumes se mettent à table pour cacher le croissant. Et là, bonjour les dégâts. Le doute est semé et les théories les plus farfelues sont lancées.
Les débats sont engagés et on revient à cette sempiternelle querelle sur le sexe des anges et le nombre de pays qui vont commencer le jeûne le lendemain. Des visions antagonistes qui nous mènent à un autre débat lancé, depuis peu, sur le travail et le travail intérimaire. Il ne se passe pas un jour, ces derniers temps, sans qu’on nous rabatte les oreilles avec des thèses et des théories sur les valeurs d’un travail décent et les revendications non satisfaites des exploités par la sous-traitance. L’image qui en ressort est que nous serions dans un univers fixe où le système n’est plus porté sur ce qu’il est urgent de faire, mais sur des «ajustements » salariaux qui conduiraient le monde.
Cela va des enseignants à tous les étages, aux travailleurs des chantiers demandant à devenir fonctionnaires, aux agents de la STEG inquiets des installations d’énergie renouvelable qui menaceraient, selon eux, leur gagne-pain. Dans tous ces cas, et dans bien d’autres, on oublie que l’histoire avance et que quand on n’avance pas, on recule.
Cette vérité n’a rien de spécialement local. Dans les démocraties les plus en avance économiquement, tout le monde a compris que les emplois d’aujourd’hui disparaîtront en grande majorité pour des emplois qu’on ne soupçonnait nullement jusque-là. La défense des positions acquises ne peut en aucun cas aller sans la prise en compte du renouvellement constant du savoir-faire et du faire comment. Du coup, les combats d’arrière-garde ne font que retarder les échéances et rendre encore plus difficile la reprise Pour revenir à notre débat, le pays vit avec incrédulité
l’épisode de la suppression de la sous-traitance qui consiste à réinjecter dans la Fonction publique des milliers de personnes, certes lésées, mais qui seraient plus productives là où elles étaient, même si les règles et les termes devaient considérablement changer.
Dans les domaines du savoir, en médecine par exemple, être en dehors du circuit de l’innovation pendant un certain temps « ringardise » le praticien, pour ne pas dire que son savoir devient obsolète. Or, il se trouve que la résolution première née de la « révolution » tunisienne a été de construire l’avenir avec et pour les jeunes, diplômés ou pas. Pour ceux parmi les jeunes qui en ont eu l’opportunité, l’avenir dans la valise à boucler pour aller tenter de vivre ailleurs n’est pas un signe évident de réussite. Même l’Etat-providence, que les aînés croient pouvoir encore ressusciter, n’a aucune réponse à donner. Il va, peut-être, falloir qu’on comprenne que le monde n’avance pas ainsi. Nager à contre-courant, c’est parfois une action fâcheuse. Dans certains cas, le retour de manivelle peut casser le moteur.
Cette chronique est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 890 du 13 au 27 mars 2024