Après la rupture des relations diplomatiques depuis l’été 2021 et la fermeture des frontières entre les deux pays maghrébins, un nouvel épisode de tension entre Alger et Rabat se dessine. Et ce, avec un projet de décret marocain annonçant l’expropriation de biens immobiliers et fonciers appartenant à l’ambassade d’Algérie au Maroc.
Comme si les relations déjà explosives entre les deux géants du Maghreb avaient besoin d’une étincelle de plus. La dernière en date? Le site Maghreb Intelligence révélait dans son édition du vendredi 15 mars un projet de décret marocain annonçant l’expropriation « pour cause d’utilité publique » de biens immobiliers et fonciers appartenant à l’ambassade de l’Algérie au Maroc. Une information qui vient remettre de l’huile sur le feu entre les deux pays dont les relations diplomatiques sont rompues depuis août 2021 suite à ce que Alger considère comme une série d’« actes hostiles » de son voisin, concernant deux dossiers brûlants : le Sahara occidental et la normalisation des relations avec l’Etat hébreu.
Sachant que le conflit du Sahara occidental, considéré comme un « territoire non autonome » par l’ONU en l’absence d’un règlement définitif, oppose depuis des décennies le Maroc au Front Polisario, dont l’Algérie est le principal soutien. Rabat, qui contrôle de facto près de 80 % du Sahara occidental, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté. Tandis que les indépendantistes du Polisario réclament un référendum d’autodétermination, prévu par l’ONU en 1991.
« Un peu à l’étroit »
Officiellement, cette expropriation, déjà dénoncée par Alger comme une « provocation », est « nécessaire en vue de l’extension des locaux administratifs du siège du ministère des Affaires étrangères marocain, voisin de l’ambassade d’Algérie à Rabat », selon les autorités marocaines.
« La décision d’expropriation est une décision souveraine de l’État marocain ; même si les biens fonciers et immobiliers objets de cette décision appartiennent à l’État algérien. La décision sera exécutée dans la transparence et selon ce que prévoit la loi ». Ainsi s’exprimait le politologue, Abderrahim Manar Slimi, président du Centre atlantique des études stratégiques. Celui-ci précise également que la procédure d’expropriation « ne portait aucunement sur le siège de l’ambassade algérienne, mais sur des propriétés situées autour du siège du ministère des Affaires étrangères, qui se trouve un peu à l’étroit ».
Rappelons que, selon les médias marocains, le projet en litige ne concerne pas le siège de l’ambassade algérienne mais un terrain de 619 m², une résidence sur deux étages avec des bureaux au rez-de-chaussée couvrant une superficie de 630 m², ainsi que d’une villa d’une superficie de 491 m².
Réaction énergique d’Alger
La réaction d’Alger ne s’est pas fait attendre. « L’Algérie condamne cette opération de spoliation caractérisée dans les termes les plus énergiques », s’empressait d’écrire le ministère algérien des Affaires étrangères, dans un communiqué publié dimanche 17 mars. Tout en ajoutant qu’Alger « répondra à ces provocations par tous les moyens qu’il jugera appropriés ».
« L’Algérie considère qu’il s’agit d’une violation inqualifiable du respect et du devoir de protection à l’égard des représentations diplomatiques d’États souverains que sanctuarisent tant le droit que la coutume internationale », ajoute le communiqué.
« Pis. Cet acte s’inscrit en contravention avec les pratiques internationales civilisées et déroge gravement aux obligations de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui imposent au Maroc de respecter et de protéger les ambassades sur son territoire quelles que soient les circonstances ».
Pour rappel, l’article 45 de cette Convention stipule qu’« en cas de rupture des relations diplomatiques entre deux Etats ou si une mission est rappelée définitivement ou temporairement, l’Etat accréditaire est tenu, même en cas de conflit armé, de respecter et de protéger les locaux de la mission ainsi que ses biens et ses archives ».
« Escalade non justifiée »
« C’est infondé, cela contient beaucoup d’allégations erronées et préside d’un esprit d’escalade non justifiée ». Ainsi, réagissait le ministère marocain des Affaires étrangères, ajoutant que « ce n’est pas un sujet que le Maroc a traité en catimini; mais au contraire en toute transparence et en lien direct avec les autorités algériennes qui ont répondu. La procédure était au point mort aujourd’hui parce que le Maroc n’est pas dans une logique d’escalade ».
« Il n’y a pas de lueur d’espoir »
Une tempête dans un verre d’eau? Selon des sources concordantes, la décision marocaine serait une réponse directe à l’autorisation récente donnée par l’Algérie à l’ouverture d’un bureau du Parti national rifain (PNR) à Alger; un parti qualifié de « séparatiste » par le Maroc qui y voit en la décision algérienne « une ingérence dans ses affaires intérieures ».
Au final, y a-t-il le moindre rayon de lumière d’un magique retour à la normale entre Alger et Rabat? « Il n’y a pas de lueur d’espoir. Cela remonte à loin. Cela fait 60 ans », conclut, amère, Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb et du Monde Arabe et enseignant-chercheur à l’Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne.