Il y a environ quarante jours, notre éminent professeur Jamil Chaabouni nous quittait. Professeur de l’enseignement supérieur à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de Sfax, il avait intégré cette institution après avoir obtenu une licence en sciences économiques à l’Université de Tunis, puis un doctorat en sciences de gestion à l’Université Philipps de Marbourg, en Allemagne.
Il s’était investi dans la recherche en dirigeant l’unité de recherche en gestion des entreprises (URGE) qui a succédé à l’ERGE qu’il avait cofondée, puis cofondé le Laboratoire PRISME (Perspectives et Recherches en Innovation, Stratégie et Management des Entreprises).
Il avait également occupé le poste de directeur des études et vice-doyen à la même faculté.
Il avait dirigé de nombreuses thèses, veillé à la publication des travaux de ses doctorants dans divers supports, et participé, en tant que membre ou président, à plusieurs jurys de recrutement et de promotion aux différents grades de l’enseignement supérieur en sciences de gestion.
Retraité de l’enseignement supérieur public, il avait poursuivi ses activités d’enseignant-chercheur, d’auteur et d’expert. En tant que membre du Conseil national de la statistique (CNS), il avait présidé les groupes de travail « Economie Sociale et Solidaire » et « Capacity Building ».
En tant que professeur honoraire et conseiller pédagogique à l’Université SESAME, il avait contribué au développement de la filière management, depuis son lancement et à l’élaboration de son plan stratégique 2030.
Il avait aussi assuré des cours et des formations à l’Ecole nationale d’administration (ENA).
Professeur Jamil Chaabouni avait une expérience internationale variée s’étalant depuis celle de conférencier dans de nombreuses rencontres scientifiques et professeur invité, à celle de membre de plusieurs associations, notamment l’Association des Professeurs de Gestion de Langue Allemande et l’Association Internationale de Management Stratégique (AIMS) dont il était membre des conseils scientifique et d’administration.
Il est auteur, co-auteur ou coéditeur de cinq ouvrages et d’une quarantaine de publications. Il s’investissait dans l’organisation d’événements scientifiques dont le colloque DIGINOV portant sur la digitalisation et l’innovation dans les organisations dont il avait présidé le conseil scientifique durant quatre années consécutives.
Animé par une quête de compréhension profonde de la gestion des entreprises et des diverses organisations dans le contexte tunisien, ses enseignements et ses recherches étaient nourris d’expériences de terrain et d’une approche pluridisciplinaire et systémique.
Son savoir et ses questionnements théoriques et empiriques avaient couvert plus d’un domaine : théorie des organisations, changement organisationnel, gouvernance administrative, management des systèmes et des technologies de l’information, pédagogie universitaire, méthodologies de recherche, épistémologie de la recherche, économie sociale et solidaire.
En témoignent ses nombreuses publications traversées sans discontinuer par le paradigme de la centralité de l’acteur humain dans tout système de gestion.
Il avait été sollicité en tant qu’expert par diverses institutions nationales dont le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi, l’Institut tunisien des études stratégiques, le Conseil national de la statistique, et des organisations internationales (PNUD, OIT, ALECSO, UNECA…).
Il avait particulièrement contribué à des études préparant à l’élaboration de stratégies et à des formations, s’investissant dans plus d’une problématique actuelle : l’Economie Sociale et Solidaire, les ODD, les tendances internationales de l’enseignement supérieur privé, l’usage du Cloud Computing dans l’éducation, les organisations culturelles et la planification stratégique, l’informatique des objets connectés, les villes intelligentes.
Professeur Chaabouni était animé tout au long de sa carrière par une quête de savoir, comprendre et mettre en pratique les connaissances selon une vision stratégique. Globalement, ses études et ses recommandations pratiques s’étaient articulées sur trois domaines scientifiques : l’organisation et l’homme, l’introduction des technologies de l’information dans les systèmes et le management stratégique.
A son retour au pays en 1980, muni de son doctorat obtenu en Allemagne, il participa à un colloque traitant de « la gestion participative, théories et pratiques ». Prenant ses distances par rapport aux thèses wébériennes de l’autorité, il écrivit en conclusion de sa présentation publiée dans les actes du colloque : « Un changement organisationnel étudié et continu auquel participeraient les différentes catégories des membres de l’organisation pourrait, peut-être, permettre à l’entreprise tunisienne une évolution sans à-coups graves qui menaceraient sa compétitivité et son existence. Dans ce cadre, la participation ne peut être instaurée par des réglementations, elle suppose aussi bien apprentissage qu’adhésion des différents collaborateurs ».
Enumérer les multiples activités du professeur Jamil Chaabouni ne saurait rendre compte de ce qu’il était sans faire mention de sa vaste culture, de son éthique, de son humilité et de sa disponibilité pour tout un chacun qui venait solliciter son aide.
Annonçant sa brutale disparition sur le site de l’AIMS, Marc Bidan écrit :
« Ceux d’entre nous qui l’ont croisé en conférence, en jury de thèse ou lors de séminaires à Paris, Aix, Toulouse, Evry, Berlin, Barcelone, Tunis, Sousse, Sfax ou ailleurs ont toujours pu apprécier à la fois sa grande culture … mais aussi- sur un plan qui dépasse largement celui de notre infra discipline- son exigence, son intégrité et sa grande honnêteté intellectuelle. Nous retiendrons aussi de Jamil Chaabouni son calme légendaire, sa totale accessibilité, son humour flegmatique et sa capacité d’écoute ».
Farouk Kamoun