Grand amoureux de la Tunisie, amis des artistes tunisiens, l’ancien ministre français de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, nous a quittés jeudi 21 mars 2024 à l’âge de 76 ans. Avait-il avant la révolution « cautionné » le régime de Ben Ali ? Il s’en est défendu à l’époque en invoquant son souci « de ne pas braquer un régime » dont il « connaissait parfaitement l’autorité ».
« Il était un homme profondément cultivé et délicat, un être à part, sensible et attachant, une personnalité inclassable si loin de la vie partisane. Frédéric Mitterrand fut un Ministre de la Culture enthousiaste et passionné, qui exerça ses fonctions avec panache et talent. Il laissera ses films, ses livres, ses émissions comme autant de témoignages de son amour pour l’art et pour la culture ». Ainsi, Nicolas Sarkozy rendait hommage à son ancien ministre de la Culture.
Pour sa part, le Ministère des Affaires Étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’Étranger a déploré la disparition du « fidèle et sincère ami de la Tunisie et des Tunisiens ». Dans un communiqué rendu public ce vendredi 22 mars sur sa page officielle FB, le Ministère a considéré qu’avec son départ, « l’amitié tuniso-française perd une personnalité qui a beaucoup contribué au raffermissement des liens entre les deux pays ».
« Le disparu, avec son talent de conteur reconnu, a fait connaître à un large public la richesse de l’historie de la Tunisie et de son patrimoine », peut-on lire dans ledit communiqué.
Multiples casquettes
Né le 21 août 1947 dans les beaux quartiers de Paris, homme de lettres et de cinéma, animateur-producteur de télévision, écrivain, scénariste, ancien directeur de la Villa Médicis à Rome, le neveu de l’ancien président de la République, François Mitterrand, aura été également ministre de la Culture et de la communication de Nicolas Sarkozy où il est resté près de trois ans à ce poste, un record depuis Jack Lang. Il s’est éteint hier jeudi 21 mars à l’âge de 76 ans des suites d’un cancer « agressif », après avoir survécu à la Covid-19.
Ecrivain reconnu, il est notamment l’auteur de Mémoires d’exil (1999), Un jour dans le siècle (2000), La Mauvaise Vie (2005, prix Vaudeville), Le Festival de Cannes (2007), La Récréation (Prix du livre politique 2014), Une adolescence (2015), Mes regrets sont des remords (2016) et Le Pays de l’innocence (2017). Toutes ses œuvres sont parues chez Robert Laffont.
Complaisance
Or, cet amoureux des arts et de la culture que ses amis qualifiaient d’homme « qui ne se prenait pas au sérieux, mais entreprenait tout ce qu’il faisait avec sérieux », avait des liens particuliers avec la Tunisie où il était un grand ami des artistes tunisiens et avait un pied à terre à Hammamet. Pourtant, était perçu par ses détracteurs comme une personnalité publique ayant fait preuve de « complaisance » envers le régime de Ben Ali.
Que lui reproche-ton au juste? Quelques jours après que la ministre des Affaires étrangères de l’époque, Michèle Alliot-Marie, eût proposé son scandaleux « savoir-faire » des forces de sécurité françaises au régime chancelant de Ben Ali et en pleine répression du soulèvement populaire par la police tunisienne, Frédéric Mitterrand affirma dans une interview télévisée, le 10 janvier 2011 sur Canal +, que « dire que la Tunisie est une dictature univoque comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré »
Mea culpa
Toutefois, faut-il rappeler que l’ancien ministre de la Culture, conscient d’avoir commis une bourde, fit son mea culpa et présenta ses excuses au peuple tunisien dans une lettre ouverte publiée le 23 janvier : « Alors que le peuple tunisien est parvenu par ses seules forces à se débarrasser de la chape de plomb qui pesait sur lui, je regrette profondément que mon attitude et les expressions qu’il m’est arrivé d’utiliser aient pu offenser des gens que j’ai toujours voulu aider et que j’admire et que j’aime », a-t-il plaidé, non sans honnêteté
Et que dire de la nationalité tunisienne qui lui avait été octroyée par le président Ben Ali dans les années 1990? « Il se trouve que, sans doute, peut-être, le régime a essayé de me récupérer en me donnant la nationalité, mais je n’ai pas fait de compromis, aucun », avait-il assuré dans une autre interview accordée le 21 janvier 2011 à Paris-Match.
En sa qualité de commissaire général de la saison tunisienne en France en 1995, suite à laquelle il reçut la citoyenneté tunisienne, Fréderic Mitterrand a raconté avoir organisé cette manifestation culturelle notamment « pour mettre en valeur des gens qui étaient en délicatesse, si ce n’est en opposition, avec le régime ».
Et de poursuivre : « Jusqu’au bout, presque au bout, juste avant les massacres, j’ai pensé, comme pas mal de gens, que la meilleure manière de protéger ceux auxquels j’étais attaché- et ça représentait tout le peuple tunisien et notamment les opposants- était de ne pas braquer un régime dont je connaissais parfaitement l’autorité », s’est encore justifié.
Paix à l’âme d’un homme attachant. Sans doute le plus Tunisien des Français.