Accusé par une plaignante d’avoir porté atteinte « à son honneur et à sa réputation » en utilisant le mot « corruption » à son encontre, le journaliste Mohamed Boughalleb est actuellement placé en garde à vue. Un procès politique destiné à museler une voix libre? A la justice d’interpréter ce terme amphibologique, porteur de double sens.
Mohamed Boughalleb, un journaliste de plus qui se retrouve coincé dans l’étau d’une machine judiciaire à broyer les médias?
Familier des couloirs des palais de justice, régulièrement convoqué et mis sous pression par les autorités, ce chroniqueur fougueux à la voix haute, figure éminente de l’audiovisuel en Tunisie, est de nouveau arrêté, placé en garde à vue et menotté. Comme s’il s’agissait d’un bandit de grand chemin.
Des faits, rien que des faits
A-t-il été arrêté pour une grave affaire qui justifie qu’on le convoque le dimanche 20 mars, un jour férié, et qu’on l’arrête le lendemain, alors qu’il accompagnait son enfant à l’école?
Limitons-nous à exposer les faits, rien que les faits. D’ailleurs, pour l’anecdote, il confiait lors de sa dernière apparition dans l’émission « Denya Zina », sur la chaîne Carthage Plus, qu’il pressentait qu’il passerait le week-end à l’ombre. Il ne s’est pas trompé!
En effet, selon son avocat Me Hamadi Zaafrani, Mohamed Boughalleb fut auditionné pendant plusieurs heures par une brigade spécialisée dans les crimes technologiques à l’Aouina « en tant que suspect ». Il a été arrêté et placé en garde à vue le vendredi 22 mars 2024, pour une durée de 48 heures. Pourtant, son avocat aura présenté le même jour un certificat médical attestant que son état de santé ne lui permettait pas de comparaître à l’Aouina, mais la brigade a rejeté le document. D’ailleurs, il a été emmené dans la soirée du samedi 23 mars à l’hôpital Mongi Slim de la Marsa, suite à la détérioration de son état de santé.
Dimanche 24 mars 2024, le parquet décida de proroger sa garde à vue de 48 heures. Cette décision a été prise à la suite d’une plainte déposée par une fonctionnaire au ministère des Affaires religieuses. Laquelle l’accuse d’avoir « porté atteinte à son honneur et à sa réputation » à travers des statuts publiés sur sa page Facebook et lors de son intervention dans une émission télévisée.
Mais que savons-nous sur le contenu de la publication qui a été à l’origine des poursuites engagées contre lui?
C’est l’avocat Me Nafaâ Laribi qui éclaira nos lanternes. Ainsi, dans son intervention, hier lundi 25 mars 2024 sur les ondes de la radio priée IFM, il révéla le contenu de la publication datée du 27 février 2024, qui n’est plus accessible- le compte du journaliste ayant été désactivé après son arrestation.
Dans ce post, Mohamed Boughalleb s’interrogeait : « Comment un ministre peut-il emmener sa secrétaire avec lui à chaque voyage? » Ajoutant que son père avait l’habitude de dire que « la corruption a de multiples portes et que celle-ci est l’une de ses portes ».
« Lors de la confrontation avec la plaignante, ajoute l’avocat, Mohamed Boughalleb a affirmé pour sa défense que sa publication « n’a rien à avoir avec la plaignante et qu’il ne connaissait même pas son nom avant la plainte ». Et qu’en réalité, dans sa bouche, le mot corruption désignait « la corruption financière et le gaspillage des deniers publics au sein de plusieurs ministères et institutions publiques […] dont il détient des dossiers qu’il compte rendre public ».
Donc, il appert que la plaignante- dont l’identité n’a pas été encore révélée, même si nous savons qu’elle occupe le poste de cadre au ministère des Affaires religieuses, accuse le journaliste d’avoir « porté atteinte à son honneur et à sa réputation » pour avoir utilisé le mot « corruption » sans la nommer expressément dans le dit statut publié sur sa page Facebook.
Un mot à double sens
Or, le hic c’est qu’en arabe, le terme corruption est un mot équivoque à double sens : al Fassad en arabe littéral désigne généralement une infraction pénale commise par une personne à laquelle est confiée une position d’autorité, afin d’acquérir des avantages illicites ou d’abuser de son pouvoir à son profit personnel. Alors qu’en dialecte tunisien, al fsad est synonyme de dépravation morale et de débauche. La plaignante s’est certainement sentie visée par le mot fsad, d’autant plus que dans cette publication datée du 27 février dernier, le journaliste faisait allusion « à la secrétaire que le ministre emmène avec lui à chaque voyage ».
Reste la question : pourquoi cette dame s’est-elle personnellement sentie concernée? Alors qu’elle n’est pas une secrétaire, mais cadre au sein du ministère des Affaires religieuses?
« Un aspect vindicatif »
En attendant que la justice ne se prononce sur cette affaire très médiatisée et dont les échos ont pris de l’ampleur même dans la presse étrangère, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Zied Dabbar, a considéré , dimanche 24 mars 2024- en marge d’un rassemblement de soutien au journaliste Mohamed Boughalleb- qu’il y avait un aspect « vindicatif » dans les poursuites judiciaires qui se traduisent « dans la rapidité des procédures et de l’exécution ».
« Un citoyen ordinaire pourrait attendre des années l’examen de sa plainte, contrairement aux poursuites contre les journalistes. Aujourd’hui, tout le secteur vit des difficultés et est menacé de disparition », a-t-il poursuivi conclu.
Difficile de lui donner tort.