La disgrâce du ministre de l’Éducation Mohamed Ali Boughdiri, un fervent partisan du processus du 25-Juillet, ouvre la voix à toutes les interprétations en l’absence d’explication officielle.
C’est par un communiqué laconique émanant de la présidence de la République, que le ministre de l’Éducation Mohamed Ali Boughdiri a appris qu’il a été démis lundi dernier de ses fonctions sans explication aucune et aussitôt remplacé par Saloua Abassi, inspectrice générale de l’enseignement secondaire de son état, dont les relations avec son ancien patron étaient, de notoriété publique, exécrables.
Siège éjectable
Il s’agit du troisième limogeage au cours du mois saint de ramadan à l’encontre d’un membre du gouvernement du Premier ministre, Ahmed Hachani. Et ce, après la révocation le 12 mars dernier de Rabie El Majidi et Hayet Guettat Guermazi, respectivement ministres du Transport et des Affaires culturelles. Auparavant, deux chefs de gouvernement furent congédiés, neuf ministres ont connu le même sort en 2023, contre quinze remerciés en 2022. C’est pour dire que depuis l’avènement du 25-Juillet, tout ministre est de facto en sursis, voire assis sur un siège éjectable. Sur quels critères un ministre de la République est désigné et surtout pour quels motifs est-il démis de ses fonctions? L’avenir nous le dira.
Un syndicaliste devenu paria
Nommé ministre de l’Éducation le 29 janvier 2023 lors d’un remaniement ministériel partiel, Mohamed Ali Boughdiri, avait occupé auparavant le poste de secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Ce docteur en chimie a rompu les amarres avec la centrale syndicale en signe de protestation contre l’équipe de Noureddine Taboubi qui procédait à l’époque à un bidouillage des statuts pour obtenir un troisième mandat.
En effet, adopté lors du congrès extraordinaire non électif de la centrale syndicale, qui s’est tenu les 8 et 9 juillet 2021 à Sousse, l’amendement de l’article 20 des statuts de l’organisation ouvrière a supprimé la limitation de l’exercice de la responsabilité au Bureau exécutif national à deux mandats. Permettant ainsi à Taboubi et à huit membres du Bureau exécutif sortant qui avaient déjà accompli deux mandats, d’en briguer un troisième.
Une fois ministre de l’Éducation, il se heurta frontalement à ses anciens camarades. Ainsi, suite à la décision prise par la Fédération de l’enseignement de base en mai 2023 de maintenir la rétention des notes de l’ensemble des trois trimestres de l’année précédente et de boycotter les prochains conseils de classe, prétextant « les atermoiements du ministère de l’Education et son refus de négocier sur les revendications des enseignants », le ministre décida brutalement au mois de juillet 2023 de geler les salaires de 17 000 enseignants et de limoger 150 directeurs d’école.
Lanceuse d’alerte
Mais que savons-nous au juste de la nouvelle ministre de l’Éducation?
Selon les bribes d’informations récoltées sur le parcours de Mme Saloua Abassi Ben Ali, cette ancienne inspectrice générale de l’enseignement secondaire, qui n’a cessé de plaider pour une « réforme profonde et inclusive, capable de répondre aux défis du 21ème siècle », avait adressé le 18 mars 2023 une lettre ouverte au président de la République, Kaïs Saïed, pour alerter contre un dossier de corruption « documenté » concernant la falsification de diplômes de baccalauréat.
Dans cette lettre, elle avait accusé un délégué régional de l’Éducation d’être impliqué dans cette affaire, soulignant avoir mis au courant le ministre de l’époque Mohamed Ali Boughdiri et son chef de cabinet de cette affaire avec tous les documents de preuves nécessaires, « sauf qu’aucune mesure n’avait été prise à cet effet ».
« En ma qualité d’inspectrice générale de l’enseignement secondaire, peut-on lire dans cette missive, j’ai perdu tout sens et toute valeur de travailler dans le domaine de l’éducation après avoir pris connaissance des preuves tangibles de falsification de diplômes, dont le baccalauréat, impliquant un délégué régional actuel de l’Éducation. Et vu que le ministre de l’Éducation n’a pas pris la décision idoine après avoir reçu une copie complète du dossier, sachant que son chef du cabinet est au courant de l’affaire, j’adresse un dernier avertissement au délégué régional concerné pour qu’il s’empresse à présenter sa démission ».
Alors, faut-il en déduire que cette lanceuse d’alerte, connue notamment pour son combat contre la fraude des certificats scolaires, a été choisie à la place de l’ancien ministre de l’Éducation limogé Mohamed Ali Boughdiri dont le département aurait traîné le pas dans l’audit complet des diplômes, concours et parcours d’affectation à partir de janvier 2011, décidé par le chef de l’Etat le 4 septembre 2023?