Deux mots pourraient qualifier ou définir Mehdi Mahjoub, CEO de Hyundai Tunisie : un travailleur infatigable. Dans un entretien qu’il a accordé à l’Economiste Maghrébin, M. Mahjoub aborde la question du secteur automobile, en Tunisie et à l’échelle internationale. Logiquement, il s’attarde sur les performances de Hyundai. Nous publions de larges extraits de cet entretien sur le site leconomistemaghrebin.com, en attendant sa publication complète sur le prochain numéro du magazine l’Economiste.
Pour commencer, le CEO de Hyundai revient le chamboulement que le secteur automobile a connu au cours des cinq dernières années, à cause notamment de la Covid-19 qui a entraîné un manque de semi-conducteurs au niveau mondial. Ce qui a engendré des problèmes importants pour la fabrication des voitures. Le marché tunisien a été impacté, avec un manque de disponibilité pour plusieurs marques.
« Bien entendu, le coût a considérablement augmenté justement à cause du manque de production. Par exemple, une usine qui fabriquait 2 000 voitures par jour s’est retrouvée à n’en fabriquer que 500 par jour », explique Mehdi Mahjoub.
Il poursuit : « Cette crise a duré environ deux ans et demi. Certains constructeurs s’en sont mieux sortis, d’autres peinent encore. Des modèles ont disparu, parce que certains constructeurs ont choisi de fabriquer ceux à haute valeur ajoutée et haut de gamme, abandonnant donc la fabrication des petites citadines… ».
Malheureusement, le secteur n’était pas au bout de ses peines, parce qu’il sera confronté un peu plus tard à un autre problème : la guerre à Gaza, fin 2023, générant « des retards de production et d’acheminement de voitures. Et ce, à cause de l’interdiction de passage ou de détour des bateaux au niveau de la mer Rouge. Même l’Europe est touchée parce que ses usines importent elles aussi des pièces détachées depuis l’Asie ».
Aujourd’hui, le coût du transport a accusé entre 35 et 40 % d’augmentation. « Par exemple, pour nous Hyundai Tunisie, une voiture nous arrivait depuis la Corée au bout de 40 jours. Il faut compter environ trois mois actuellement, avec un coût supplémentaire », assure M. Mahjoub.
Il considère que le marché n’est plus stable, comme il y a une vingtaine d’années, où une marque pouvait occuper la première place pendant longtemps.
Maintenant, une concurrence s’est établie, avec une panoplie de choix. Le marché tunisien compte environ 36 concessionnaires pour 50 marques. De ce fait, « le consommateur a l’embarras du choix, contrairement à il y a 15-20 ans. Que le meilleur gagne, avec le service, le développement du réseau, les promotions que vous voyez ».
Il enchaine en rappelant que «… pour réussir dans un marché automobile, il faut avoir une belle marque, une belle équipe, une belle couverture réseau et une stratégie orientée vers le client ». Ce sont là les quatre clés de réussite dans un marché automobile.
Quid des quotas d’importation de voitures?
« Je voudrais d’abord souligner que le marché tunisien de l’automobile n’est pas libre, alors qu’il devrait l’être, à l’instar de ceux des téléphones, des meubles et d’autres, afin d’établir une meilleure concurrence », explique-t-il.
Il n’est pas libre parce qu’il est soumis à un programme d’importation décidé par le ministère du Commerce et qui est distribué selon les performances des années précédentes du concessionnaire, ajoute M. Mahjoub.
Les caisses sociales et le financement de l’achat des voitures
Mehdi Mahjoub rappelle que les caisses sociales, il y a une vingtaine d’années, finançaient l’acquisition de voitures et même de maisons. « Personnellement, je pense que c’est le rôle d’une caisse sociale. Et si elles ont suffisamment de fonds pour pouvoir le faire pour l’ensemble de leurs affiliés, c’est tant mieux ».
De ce point de vue, il estime qu’on devrait aider les foyers à revenus modestes à accéder à un meilleur taux par rapport à ceux pratiqués par les banques et les sociétés de leasing. « En tant que concessionnaire, on ne peut qu’encourager cela, parce qu’acheter une nouvelle voiture à 50 000 et rembourser 80 000 dinars au bout de cinq ans, c’est trop. Mais s’il peut payer 60 000 dinars au bout de cinq ans, c’est mieux. Et je pense que les 50 000 dinars, c’est suffisant parce qu’il y a un autofinancement de 20 % de la part de l’affilié. Avec un budget de 80 000 (les 50 000 plus les 20 % d’apport du client ou de l’affilié), on peut avoir une belle voiture aujourd’hui ».
Tout en reconnaissant que le prix de la voiture a énormément augmenté par rapport à 2010, M. Mahjoub indique que, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, cette augmentation est liée à 95 % au glissement du dinar par rapport au dollar et à l’euro.
Pour étayer ses dires, il prend l’exemple du dollar. « En 2010, le dollar était à 1,3. 20 000 dollars équivalaient à 26 000 dinars. Aujourd’hui, le dollar étant à 3,2, la contre-valeur des 20 000 dollars, c’est 66 000 dinars ».
Autrement dit, « dans l’augmentation du prix de la voiture, celle du constructeur et du transport ne représente que 5 %, les 95 % restants viennent du glissement du dinar ».
Pour dépasser cet écueil, il appelle à beaucoup et mieux travailler « afin d’améliorer et renforcer notre monnaie. Et donc notre productivité ».
Pourquoi les ventes des voitures électriques et hybrides ne décollent-elles pas?
Mehdi Mahjoub admet que les ventes des voitures 100 % électriques n’ont pas décollé, en dépit du fait que ciq à six marques en proposent. Et ce, parce que le client a peur de la non-existence de bornes de recharge.
« Si elles n’ont pas été développées malgré les différentes réunions qu’on a eues avec l’ANME et la STEG, c’est parce que celui qui va investir pour les mettre en place n’a pas le droit de vendre l’énergie/électricité aux particuliers », assure-t-il.
Autrement dit, « c’est donc un problème législatif qui, heureusement, est en train d’être réglé, en permettant à l’investisseur privé de vendre directement l’énergie aux particuliers ».
Ensuite, il y a le problème du prix de la voiture électrique, qui reste chère aujourd’hui. Mais dans cinq ans, la voiture électrique va devenir beaucoup moins chère, avec des batteries plus efficaces en termes d’autonomie.
Le CEO de Hyundai affirme encore que « l’Etat a fait son maximum, parce que la voiture électrique payait 30 % de droits de douane et 19 % de TVA il y a trois ans. Les droits de douane ont été éliminés (en 2023 c’était 0 % de droits de douane et 19 % de TVA). En 2024, la voiture électrique ne payera que 7 % de TVA. Donc, du côté importation et de l’Etat, je pense que c’est le maximum qu’on puisse faire. C’est un encouragement extraordinaire ».
Comment expliquez-vous le succès de Hyundai Tunisie?
A part les deux premières années qui ont été très difficiles, Hyundai Tunisie se porte bien aujourd’hui. Et c’est le fruit d’un dur labeur. « Je pense que la société est en train de récolter le fruit de trois ans de travail très dur ».
Et s’il est ainsi, c’est parce que Hyundai possède « la meilleure équipe d’automobile en Tunisie ». Ensuite, en trois ans, l’entreprise a construit un réseau de 21 agences (contre cinq auparavant). Tertio, il y a eu l’établissement d’« une excellente relation avec le constructeur ». Enfin, la mise en place d’« une stratégie commerciale orientée vers le client », voilà les clés de notre succès.
Résultat : Hyundai Tunisie est passée de la 7ème à la première place en l’espace de trois ans (2019, 2020 et 2021).
Il faut ajouter que M. Mahjoub considère qu’« un personnel qui perçoit un salaire doit être performant dans son poste, du gardien au directeur. Car si vous avez un mauvais gardien, le client va être mal reçu. Si le réceptionniste n’accomplit pas convenablement sa tâche, l’image de l’entreprise s’en ressent ».
« J’entends les gens dire que “le client est roi“, mais non, pour moi le client n’est pas roi, il est le patron. Car l’entreprise n’a pas d’argent, c’est le client qui paie les salaires des employés. Réellement c’est lui le patron. C’est mon patron ».
Vous lirez davantage de détails sur Hyundai Tunisie dans le prochain magazine de l’Economiste Maghrébin.