Ni l’Europe ni le monde arabe ne forment un bloc monolithique, homogène. Dès lors, la question des relations (diplomatiques, économiques, etc.) entre ces deux ensembles géoculturels doit d’abord être pensée dans la diversité, à travers le canal bilatéral développé entre Etats arabes et européens. Il n’empêche, des interrogations et caractéristiques générales se dégagent, à l’heure où l’agression israélienne contre les Palestiniens ravive la tentation de la thèse d’un choc des civilisations.
L’enracinement des rapports Europe et monde arabe
Après avoir exercé une domination sur le monde arabe, les anciennes puissances coloniales européennes ont conservé avec lui des rapports privilégiés. Les liens politiques (l’Organisation de la francophonie, par exemple), culturels (la langue de l’ancienne puissance européenne est souvent une langue officielle) et commerciaux sont solides, mais inégaux et différenciés.
Une série d’instruments de coopération (accord de libre-échange, statut avancé, accord d’association, Union pour la Méditerranée) définit le cadre des relations entre l’Union européenne (UE) et le monde arabe. Ces différents dispositifs échouent à diminuer les déséquilibres structurels qui caractérisent les rapports entre les deux rives de la Méditerranée, espace comptant quelque 400 millions d’individus.
L’Europe demeure une forteresse pour les producteurs/exportateurs des pays arabes : les mesures non-tarifaires se situent largement en dessous de celles de l’Union européenne. Non seulement cette difficulté d’accès au marché commun européen provoque une compétition asymétrique, mais elle contraint les pays du Sud à des surcoûts pour assurer la mise aux normes européennes de leurs produits destinés à l’export.
La perte d’influence européenne
Il n’empêche, les Européens subissent de fait une perte d’influence au Maghreb et plus encore au Moyen-Orient. Cela s’explique par la montée de nouvelles puissances concurrentes (de la Chine à la Turquie) et la volonté des pays arabes de diversifier leurs relations commerciales et politiques. Il s’agit là d’un signe manifeste d’émancipation qui s’inscrit dans le mouvement d’affirmation d’un Sud global face à l’Occident.
Il est difficile de dégager le moindre processus de rapprochement global.
Le défaut d’unité politique du monde arabe se vérifie également pour l’Europe, divisée et incapable de porter une voix unique au nom de valeurs, de principes et… d’intérêts communs. En 2003, la guerre contre l’Irak a mis en lumière cette réalité. En outre, nombre de diplomaties européennes entretiennent une relation particulière avec des pays du monde arabe (Grande-Bretagne mais aussi Italie et Grèce), compte tenu de liens historiques (passé colonial), géographiques (voisinage et enjeux des flux migratoires) ou stratégiques (marchés de l’armement et des hydrocarbures).
Le cas de la France est topique, la « politique arabe » est une « dimension essentielle de sa politique étrangère » (le président Jacques Chirac, discours au Caire, 1996). Cette idée de « politique arabe de la France », ancienne puissance coloniale au Maghreb (mais aussi au Liban), renvoie aux liens privilégiés entretenus avec les pays du monde arabe, dont il convient de respecter la souveraineté et donc l’indépendance.
La diplomatie française à l’Elysée et au Quai d’Orsay suit ainsi une ligne gaullo-mitterrandienne depuis le début de la Ve République, elle-même héritière d’une tradition remontant à Napoléon III et à sa politique du « royaume arabe ». Cette continuité s’illustre par la condamnation de la guerre préventive israélienne en 1967, la décision de François Hollande de soutenir la demande palestinienne de se voir reconnaître un statut d’État (non membre observateur) à l’ONU (novembre 2012), en passant par le « discours du refus » d’une intervention américaine en Irak prononcé par Dominique De Villepin au Conseil de sécurité (14 février 2003).
Cette continuité ou cohérence est trompeuse, comme l’atteste la participation de la France à la coalition internationale pour mener la guerre contre l’Irak (1991). La politique française envers les Arabes varie en fonction des États et de ses intérêts. Derrière le slogan de la « politique arabe », la logique de la Realpolitik prime, au risque de l’incohérence et de l’instabilité.
Le cas de l’évolution récente des relations avec le Maroc est ici significatif. De même au sujet de l’évolution de la position française sur le conflit israélo-palestinien, qui s’inscrit dans une tendance atlantiste et occidentaliste de plus en plus marquée depuis la présidence Sarkozy et confirmée par la présidence Macron.
Ainsi, depuis le début de la nouvelle guerre à Gaza, le sentiment d’une indignation sélective s’est dégagée de l’Elysée qui avait d’emblée exprimé un soutien inconditionnel à Israël. Depuis, une tentative de rééquilibrage de la voix de la France s’est dessinée. Elle reflète des tergiversations et la difficulté d’une ligne claire jusqu’au sommet de l’Etat.