L’ISIE a annoncé les résultats du Conseil national des régions et des districts (CNRD). Dans une déclaration à L’Economiste Maghrébin, la professeure de droit constitutionnel, Salsabil Klibi, revient sur les spécificités et prérogatives du CNRD.
Salsabil Klibi affirme que les compétences du CNRD sont régies par les articles 84, 85, 114, 115 et 127 de la Constitution du 25 juillet 2022. Selon elle, ces compétences peuvent être ramenées à deux points. Le premier concerne le pouvoir d’action du Conseil qui consiste à voter la loi de finances et les plans de développement nationaux, régionaux et des districts. En effet, l’article 84 de la Constitution prévoit que ces textes sont obligatoirement soumis au CNRD, dans le but de garantir l’équilibre entre les régions et les districts.
Le second type de compétences concerne le pouvoir de contrôle du Conseil. Ce dernier s’exerce d’abord sur la base de l’article 85 de la Constitution, qui prévoit que le CNRD exerce un contrôle sur tout ce qui concerne l’exécution du budget et des plans de développement. On peut supposer que ce contrôle s’exerce via les questions écrites et orales que les membres du CNRD ont le droit d’adresser aux membres du gouvernement, ou encore via les débats politiques qu’ils peuvent engager avec un ou plusieurs membres du gouvernement, comme le prévoit l’article 114 de la Constitution.
On peut ajouter à ces mécanismes de contrôle celui prévu par l’article 115 de la Constitution, qui stipule que le CNRD peut présenter une motion de censure contre le gouvernement, conjointement à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). En effet, une motion de censure n’est recevable que si elle est présentée et signée par au moins la moitié des membres de l’ARP et la moitié des membres du CNRD. Une telle motion de censure contre le gouvernement est présentée si ces deux Chambres considèrent qu’il s’est écarté de la politique générale et des choix fondamentaux de l’État tels qu’ils ont été déterminés par le chef de l’État. Cette motion est approuvée à la majorité des deux tiers des deux Chambres réunies en congrès conduit à la démission du gouvernement.
Le CNRD possède un autre pouvoir de contrôle ou contre-pouvoir : il s’agit de celui de saisir la Cour constitutionnelle pour un recours en inconstitutionnalité contre une loi votée par l’Assemblée des représentants du peuple; et ce avant sa promulgation par le chef de l’Etat. « Il est important de rappeler que le CNRD ne dispose pas d’un droit d’initiative des projets de lois, qui reste du seul ressort de l’Assemblée des représentants du peuple et qu’il n’est pas non plus compétent pour voter les lois, en dehors de la loi des finances, comme nous l’avons dit », étaie-t-elle.
Répondant à notre question sur l’efficacité du Conseil, elle affirme qu’ « il est difficile de préjuger de cette question, le Conseil n’ayant pas encore commencé à fonctionner. Toutefois, on peut déjà dire, eu égard aux compétences qui lui ont été attribuées par la Constitution, que ses pouvoirs sont limités ». Dans le même sillage, la professeure explique que « ses pouvoirs d’action sont épisodiques ou occasionnels, contrairement à ceux de l’ARP, puisqu’ils sont soit annuels à l’occasion du vote de la loi de finances, soit quinquennaux à l’occasion de l’approbation des plans de développement ».
Tendance à la fragmentation
La mise en œuvre des pouvoirs de contrôle du Conseil peut susciter un certain nombre de problème. « Ils peuvent poser problème au niveau de leur mise en œuvre, car d’une part, la motion de censure que les membres du CNRD ont le pouvoir de présenter contre le gouvernement, organe d’exécution des politiques déterminées par le chef de l’Etat, est enchainée à l’Assemblée des représentants du peuple, puisque cette motion n’est recevable que si elle est conjointe entre les deux chambres ».
Et d’ajouter : « Ensuite, relativement au suivi de l’exécution des plans de développement, notamment quant à la garantie de l’équilibre entre les régions et les districts, le fait que les membres de ce conseil viennent des conseils de districts, qui eux mêmes viennent des conseils régionaux, qui à leur tour viennent des conseils locaux, peut conduire à une vision fragmentée de l’idée de développement, dans laquelle il sera difficile de faire prévaloir une vision commune et globale de l’équité dans la réparation des richesses et dans l’effort national de développement, sur des ambitions locales ou régionales, du reste légitimes, de tirer vers soi cet effort national, notamment les financements de projets de développement ».
Et de conclure : « Il est donc à craindre que l’élaboration des plans de développement et le suivi de leur exécution soient minés par une tendance à la fragmentation et les difficultés d’arbitrage entre des revendications locales ».