C’est en sa qualité de président du Conseil des Chambres mixtes (CCM) qu’on s’est adressé à M. Adel Mohsen Chaabane pour porter un certain éclairage sur le projet de code de change. Ayant participé aux débats qui ont mené à une première mouture de ce nouveau code, il nous révèlera les objectifs déclarés pendant le débat public-privé. Il ne cache pas, toutefois, ses craintes quant aux changements qu’on aurait opérés sur la version finale qui se trouve actuellement à l’ARP. Quoiqu’il en soit, M. Chaabane profitera de l’occasion pour insister sur le fait que ce nouveau code de change devra refléter d’une manière claire la confiance mutuelle entre le secteur public et le secteur privé, sans quoi rien ne pourra se faire. C’est le cas pour le code de change, mais aussi pour toutes les autres questions que nous avons abordées comme celles de la fiscalité, des chèques sans provisions, sous-traitance et bien évidemment du fonds qatari.
Un projet de code de change vient d’être validé. Il est destiné à remplacer l’ancien code, en place depuis 1976. Ayant participé, en tant que CCM, au débat public-privé consacré à la question, que pouvez-vous nous dire sur cette nouvelle mouture?
Pendant le débat public-privé au sujet du projet de code de change auquel la CCM a participé, des objectifs ont été fixés, avec une série de mesures claires convenues entre les deux secteurs, qui tiennent compte des contraintes des uns et des autres ainsi que de la situation du pays. Un débat que je salue par ailleurs. J’en citerai les plus impactants :
-Suppression progressive des restrictions au niveau des opérations de change. – Réduction de l’éparpillement des textes d’application.
-Refonte profonde de la notion de résidence sur le plan change en tenant compte de la mobilité accrue des personnes.
-Attribution d’un avantage comparatif en faveur des investisseurs non-résidents afin de renforcer les acquis de ces derniers et de contribuer à l’amélioration du climat des affaires.
-Adoption de mesures d’assouplissement telle que la suppression, sur le plan de change, de certains autorisations.
-Ouverture de nouveaux horizons au profit des entreprises tunisiennes qui cherchent à développer leurs activités à l’étranger.
-Encadrement, sur le plan de change, au niveau de la question relative à la détention des crypto-monnaies afin de mettre un terme au vide juridique actuel, en totale inadéquation avec la réalité.
-Renforcement du rôle des intermédiaires agréés pour la bonne application de la réglementation de change et réduction du plan de charge de la BCT.
-Révision du système des sanctions applicables aux infractions de change, en apportant plus d’éclaircissement sur les infractions de change et en allégeant les sanctions y relatives.
Ce sont là les objectifs déclarés lors du débat public-privé. On croit savoir qu’une autre version se trouve actuellement à l’ARP. Avez-vous connaissance de cette version ?
On ne connait pas encore, d’une manière officielle, ce qu’il y a dans cette nouvelle mouture et on craint que certains des objectifs fixés lors du débat public-privé n’y soient pas inclus.
Nos craintes quant à la version officielle du projet de loi est qu’il ne soit pas un code facile à lire, léger au niveau des textes. On souhaiterait un code avec uniquement les définitions et les principes généraux d’une loi qu’on veut cohérente et précise quant aux rôles que doivent exercer tous les intervenants. Cela permettra d’éviter des détails qui risquent de créer des problèmes d’interprétation. Nous avons compris, à travers les réunions avec le secteur public, que le nouveau paradigme du code de change reposerait sur l’ouverture et sur plus de responsabilités pour les opérateurs. L’intention est de dépénaliser autant que possible l’activité économique pour donner plus d’opportunités à la créativité des entrepreneurs tunisiens, notamment les jeunes. Mais, apparemment, selon les échos que nous avons eus quand à la version finale, les sanctions sont toujours de mise. Il est même question de doubler les sanctions pécuniaires et/ou privatives de liberté.
La question des sanctions est primordiale.
Un entrepreneur prend des risques et donc, il est sujet à des erreurs. Pourquoi, en cas d’erreur, lui infliger des amendes qui peuvent atteindre dans certains cas cinq fois le montant initial? A cela, s’ajoute une peine de prison allant jusqu’à deux ans.
Dans ce cas, qui prendra des risques ? On doit être dans un esprit de dépénalisation. On doit penser à cette catégorie d’entrepreneurs qui ne sont pas assez solides et qui vivent dans la hantise d’une sanction privative de liberté en cas d’échec ou de risque de non rapatriement de revenus de l’export car ils n’auront pas les moyens de les réclamer efficacement sur des marchés difficiles ou lointains tels que l’Afrique et l’Asie . Les cas de non rapatriements sont très différents et diversifiés selon la nature de la marchandise exportées, les marchés visés, les situations juridiques des clients, etc. Il faut réfléchir à résoudre les cas de non apurement des titres d’export en améliorant les textes avec l’implication des parties concernées, public et privé.
Pour le exportateurs résidents, il faut savoir que le rapatriement d’argent n’est pas aussi fluide qu’on peut le croire, notamment quand il s’agit de pays où la situation n’est pas toujours évidente. Je peux témoigner d’une entreprise qui a obtenu un marché en Guinée. Suite au changement de régime, il y a eu refus de payer. Dans des cas pareils, la possibilité de réclamer est absente ou que ça coute très cher de récupérer une partie des revenus.
Extrait du grand entretien qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 892 du 10 au 24 avril 2024