Et de trois ! Il y a peu, le président de la République ouvrait le bal des réformes qui faisaient craindre le pire en pointant du doigt l’épineux dossier de la pléthore des fonctionnaires. Avec pour angle d’attaque les irrégularités en matière de recrutement. Objectif : dégraisser le mammouth, par trop toxique, dans l’espoir de ramener le rapport masse salariale sur PIB à des niveaux acceptables, sous la barre de 13%, proche des moyennes mondiales. En cause : la dérive actuelle qui plombe le budget de l’Etat et prive le pays d’investissements d’avenir.
Ce n’est pas non plus sans raison si, pendant tout ce temps, le pays fait face à des pénuries récurrentes de produits de première nécessité, dont le poids des subventions réduit considérablement l’espace budgétaire de l’Etat et le prive de véritables instruments financiers de relance. Le coup de rabot budgétaire, qui n’ose pas dire son nom, ajoute aux difficultés quotidiennes, mais le résultat n’en est pas moins spectaculaire. Sans cela, les déficits jumeaux seraient insoutenables.
Ultime étape, la case, longtemps occultée, des entreprises publiques qui fabriquent plus de déficit et de dette qu’elles ne créent de richesse et de valeur ajoutée. Elles sont aujourd’hui prises pour cible à chaque sortie de piste, quelles qu’en soient les raisons. Sureffectif, subvention, entreprises publiques… la boucle est bouclée. Il y a comme une petite musique déjà entendue. Un refrain qui nous vient de loin.
« Le fait est qu’aujourd’hui les entreprises publiques, décriées par les uns, défendues par les autres, sont dans l’œil du cyclone. Les temps où, pour des raisons diverses, elles se complaisaient dans leur zone de confort semblent bien lointains. »
Secouer le cocotier ? Coup de pied dans la fourmilière ? Le fait est qu’aujourd’hui les entreprises publiques, décriées par les uns, défendues par les autres, sont dans l’œil du cyclone. Les temps où, pour des raisons diverses, elles se complaisaient dans leur zone de confort semblent bien lointains. L’inconfort et l’inquiétude s’emparent d’elles à chaque visite surprise du président de la République, jamais les mains vides et fort documenté. Ses remontrances, ses coups de colère feront date. De quoi les tourmenter, les malmener, les maltraiter et tourner en dérision le peu d’engagement du personnel et son désintérêt pour la chose publique. Il fait état, à chaque fois, d’un catalogue à la Prévert des dysfonctionnements, des abus, des gaspillages, mettant souvent en cause une gouvernance au rabais, aux frais et à la charge « du peuple ». A sa manière et au pas de charge, sans l’annoncer directement, le chef de l’Etat donne le signal des réformes d’entreprises publiques imperméables aux innovations et résistantes à toute forme de changement. Il les prend de court et de vitesse. Il leur coupe toute voie de battre en retraite. Le discrédit fi nit par ruiner leur velléité de réticence.
Les abus, les dépassements, l’incompétence professionnelle, le déficit de leadership attribués aux EP sont, dans beaucoup de cas, quoiqu’à des degrés divers, la marque d’un mal tunisien. En cause : des erreurs humaines certes, du fait d’un management bridé, étriqué, enserré dans un étroit corset. Mais le mal est plus profond. Il trouve le plus souvent ses origines au cœur même du pouvoir, dont les hésitations, l’indécision, l’absence de vision, de plan de développement, de programme, d’objectif clair et précis désorientent les gestionnaires en mal de ressources et les condamnent à l’immobilisme.
Chez nous, l’échec est toujours orphelin, alors que le succès a plusieurs pères. Le premier est d’office imputé aux seuls dirigeants d’entreprises qui ne peuvent s’affranchir de la tyrannie de leur tutelle qui détient les leviers de commande.
Chez nous, l’échec est toujours orphelin, alors que le succès a plusieurs pères. Le premier est d’office imputé aux seuls dirigeants d’entreprises qui ne peuvent s’affranchir de la tyrannie de leur tutelle qui détient les leviers de commande. Ils n’ont pas les coudées franches et ne peuvent exercer pleinement les prérogatives pleines et entières d’un top manager, alors que dans bien des cas, ils disposent de tous les attributs. Sans appui, sans protection de leur tutelle, ils n’y peuvent rien ou pas grand chose dans le bouillonnement social post-révolution. Les plus grands timoniers du monde ne pourront naviguer à contre-courant, entre les récifs, sans lumière, sans être de surcroît informés des intentions du pouvoir. Un Etat social ? Soit, mais cela ne peut tenir lieu de politique globale. La question est de s’en donner les moyens, de savoir ce qu’il faut faire, comment et avec qui. Difficile d’imposer une obligation de résultat à des dirigeants d’entreprises, aussi doués soient-ils, quand ils sont soumis à de terribles contraintes, sans de vraies marges de manœuvre et sans une obligation de moyens. Qu’y pourront-ils quand l’Etat lui-même entretient ambiguïté et confusion et n’a pas d’idée arrêtée sur ce qu’il entend faire de ses entreprises et sur le rôle qui leur est dévolu?
En clair, la raison, la rationalité économique, les lois du marché même revisitées par l’Etat doivent l’emporter sur l’émotion et la nostalgie qui ne sont pas toujours bonnes conseillères.
Le président de la République, investi de tous les pouvoirs, est dans son rôle quand il s’emploie, même de manière peu orthodoxe, à vouloir ressusciter, redonner vie et espoir aux entreprises publiques en état de mort cérébrale, tout en réaffirmant sa volonté de les maintenir dans le giron de l’Etat. Il répond ainsi à une véritable demande sociale, même si cela ne suscite guère l’enthousiasme des partisans du moins d’Etat. L’essentiel est de mettre toutes les chances de son côté. En clair, la raison, la rationalité économique, les lois du marché même revisitées par l’Etat doivent l’emporter sur l’émotion et la nostalgie qui ne sont pas toujours bonnes conseillères.
Il y a toujours un risque à vouloir ressusciter les morts. En la matière, les cas de rechute sont légion. Les entreprises qui ont connu leur moment de gloire mais qui n’ont pas pu s’adapter à temps, le plus souvent à cause du carcan administratif, celles qui ont vu disparaître leurs marchés, celles aussi qui n’ont pas vu venir ni su prendre le train des nouvelles révolutions industrielles et technologiques, se sont fossilisées d’elles-mêmes. Leur réanimation coûteuse et douloureuse sera de très courte durée. On ne peut plus produire à perte pour un marché qui n’existe plus, au mépris de toute forme de rationalité économique. L’histoire des régions sinistrées à travers le monde, qui ont été le berceau des premières révolutions industrielles : mines, charbon, sidérurgie… est riche en enseignements. Seule issue : engager un vaste programme de reconversion en se positionnant sur de nouvelles lignes de production, de nouveaux secteurs d’activité d’avenir, s’inscrire dans le mouvement et se projeter vers le futur, intégrer et développer les nouvelles technologies qui façonnent le monde de demain.
A. Einstein, l’erreur serait de toujours faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Osons changer de paradigme pour faire de l’entreprise publique l’égale de l’entreprise privée, aujourd’hui plus citoyenne que jamais, qui assume pleinement son statut, son rôle et ses responsabilités environnementale, sociale, sociétale, voire politique.
La campagne à la hussarde du chef de l’Etat, sabre en l’air, sans ménagement pour débarrasser les entreprises publiques de leur poids mort, de leur conformisme face à un monde en perpétuelle accélération, peut choquer les puristes, mais elle a le mérite d’exister et de surgir en temps opportun pour répondre à un impérieux besoin de réforme des entreprises publiques. Elle fait l’effet d’un électrochoc et provoque le réveil des consciences. Réformer ou périr. Autant dire que l’heure de la transformation a sonné. A condition de ne pas tomber dans les mêmes travers du passé. Car, pour paraphraser A. Einstein, l’erreur serait de toujours faire la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Osons changer de paradigme pour faire de l’entreprise publique l’égale de l’entreprise privée, aujourd’hui plus citoyenne que jamais, qui assume pleinement son statut, son rôle et ses responsabilités environnementale, sociale, sociétale, voire politique. Concilier justice sociale, impératif économique et compétitivité, c’est nécessaire et possible pour les entreprises publiques puisque le secteur privé en fait la démonstration. Il ne faut rien de plus qu’un pacte de croissance, un contrat-programme, une obligation de résultat, davantage de capacité de décision et de liberté de mouvement. Elles iront jusqu’à chercher la croissance hors et bien loin de nos frontières. Il y a eu chez nous, et de tout temps, des femmes et des hommes au leadership consacré, capables de porter notre savoir-faire, et le faire savoir, à son plus haut niveau d’exigence aux quatre coins de la planète. C’est l’occasion pour nous d’inverser la tendance et de mettre fin à l’exode des cerveaux et des compétences. Les entreprises publiques, pas moins que les autres, doivent s’ouvrir sur le monde. Et, au besoin, puiser dans le vivier et le réservoir de nos stratèges aux commandes, à de très hauts niveaux de responsabilités managériales, à l’étranger. Les faire revenir et les inciter à rentrer au bercail, c’est la meilleure réponse à la fuite de cerveaux, de compétences et d’intelligence qui impacte déjà dangereusement notre croissance potentielle. Quel bonheur de les accueillir, de profiter de leur expérience, de leur réseau et de leur qualité managériale ! En y mettant bien évidemment le prix. Pour en finir avec les rémunérations de misère de cadres aux valeurs humaines et marchandes inestimables.
La restructuration, le sauvetage de nos entreprises autant publiques que privées sont à ce prix.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 892 du 10 au 24 avril 2024