Lotfi Riahi, président de l’Organisation tunisienne pour informer le consommateur (OTIC), vient de mettre en lumière une réalité désormais vérifiée: pendant le mois de Ramadan, le consommateur tunisien gaspille environ 66% des plats préparés. La nouvelle n’a pas semblé émouvoir beaucoup de monde. Il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat, même si le constat laisse comme un goût amer. On doit avaler la couleuvre et faire comme si c’était normal de faire la queue pendant des heures pour acheter un kilo de riz ou de sucre pour les jeter après à la poubelle.
C’est ainsi qu’il est devenu pratiquement démocratique de jeter des centaines de tonnes de nourriture. Comme il n’est guère question de pénaliser les fautifs ni d’augmenter le prix des denrées alimentaires pour tout le monde, la Caisse de compensation continuera à compenser en creusant les déficits et en surmultipliant les chiffres de la dette. Les modestes campagnes dites de sensibilisation, s’il en est, ne changent pratiquement rien à l’ordre des choses.
Il faut dire, histoire de lui trouver quelques excuses, que le Tunisien a été servi à satiété en ce mois d’abstinence. Des plats riches en couleurs qui faisaient saliver la toile et nourrissaient les discussions les plus folles. Le dernier servi était celui de l’avion « Amilcar», parti sans revenir. Une histoire bien salée qui a épicé les débats sur l’état des lieux de notre flotte aérienne, des procédures douanières à entreprendre et des prix de la ferraille sur le marché international. La rumeur publique, les discussions de café et les réseaux sociaux ont fait le reste. Le reste, c’est que tout le monde est réputé pourri, sans attendre la confrontation des arguments et des preuves. Et puis, comme on dit, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud. Qu’importe ce qu’on va faire avec, on parle du fer, une statut de liberté ou des barreaux de prison.
L’essentiel est de garder la marmite sur le feu, d’être toujours occupé à quelque chose. Des derniers limogeages, par exemple celui du ministre de l’Éducation, Mohamed Ali Boughdiri, survenu le lundi 1er avril. Pour ce dernier, on croyait, au début, que ce n’était qu’un simple « poisson » d’avril, sauf qu’après vérification, le menu s’est avéré beaucoup plus copieux.
Depuis le début de Ramadan, deux autres ministres ont été limogés, celui des Affaires culturelles et celui du Transport. A qui il faudra ajouter deux gouverneurs et un procureur de la République. De quoi couper l’appétit à plus d’un. A tous les hauts fonctionnaires de l’Etat qui se trouvent désormais sur un siège éjectable. Couper l’appétit aux uns, mais laisser les autres, la majorité, sur leur faim, n’ayant obtenu aucune explication à ces limogeages. Les quelques miettes qui ont filtré sur les raisons de ces désaveux n’expliquaient pas vraiment pourquoi ces ministres, connus pour être de fervents défenseurs du régime, se sont trouvés à la diète.
A propos de diète, la sagesse populaire rappelle qu’il faut éviter de se délecter de « debla », ces beignets en forme de grande oreille. Cette dernière se venge toujours au moment de la digestion. Certains en ont déjà fait les frais. C’est le cas d’un certain Mohamed Boughaleb. Accusé d’avoir cassé du sucre sur le dos d’une fonctionnaire de l’Etat, il se trouve aujourd’hui en prison. Pour lui, ça ne baigne plus. Son affaire prend même un goût de rance depuis qu’un nouveau mandat de dépôt a été émis à son encontre, alors qu’il n’a même pas été encore auditionné. Les procédures voulaient qu’il se mette à table avant, mais qu’à cela ne tienne. C’est connu, comme nous le rappelle M. Lotfi Riahi, 66% de ce qui sera servi à table ne seront pas consommés.
Quel gâchis …
Le mot de la fin est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 892 du 10 au 24 avril 2024